Les cloches de vache remplacent le climatiseur : en télétravail à 2160 mètres d’altitude
En coulisse

Les cloches de vache remplacent le climatiseur : en télétravail à 2160 mètres d’altitude

Simon Balissat
11/7/2023
Traduction: Anne Chapuis

Je déteste la chaleur. Quand les températures dépassent 25 degrés, je considère qu’il fait chaud. C’est pourquoi je me suis rendu à plus de 2000 mètres d’altitude pour travailler quelques jours. Loin de la ville suffocante, les vaches et les mouches me distraient du travail.

« Chez nous, les nuits sont tropicales quand il fait plus de 10 degrés ! », m’explique la tenancière de la Pension Edelweiss à Juf. À 2126 mètres l’altitude, Juf est le village le plus haut d’Europe habité à l’année. Juf se trouve tout au fond de la vallée d’Avers dans le canton des Grisons. Là où le Rhin prend sa source avant de serpenter en direction de Rotterdam, la température dépasse rarement les 20 degrés. Dimanche midi, à Zurich, le thermomètre affiche 32 degrés lorsque je monte dans le train. Après un peu plus de trois heures, un train et deux cars postaux, je suis assis sur la terrasse à l’ombre et ai légèrement froid, car un léger vent souffle. Il fait 22 degrés et je réalise que je n’ai pas de pull ni de coupe-vent.

Dimanche, 12 h 00, 32°C à Zurich : l’été s’est définitivement installé

Je déteste la chaleur qui s’accumule dans la plaine en été. Le fait de transpirer puis de devoir se rafraîchir avant de transpirer encore plus ensuite me rend fou. Pendant ces journées, en télétravail comme au bureau, il fait jusqu’à 30 degrés. Pour briser le cercle vicieux de la transpiration, me réfugier en altitudeme semble être la seule solution. Je me dis que 2160 mètres devraient faire l’affaire.

Lundi, 08 h 10, 12°C à Juf, 20°C à Zurich

C’est le premier jour dans mon lieu de villégiature estival. À Juf, 30 personnes vivent à l’année. Ils vivent de l’agriculture et du tourisme. Il n’y a pas d’arbres, c’est pourquoi les paysans utilisaient autrefois des crottes de mouton pour allumer le feu, comme on peut le lire dans le guide touristique de la vallée d’Avers. « Zurich sent la merde ce matin », m’écrit ma femme. Je suppose que ce sont les séquelles du Zürifäscht. Moi, je respire l’air de la montagne, pauvre en oxygène. Je me prépare pour la première réunion de la journée. Mon poste de travail est une combinaison aventureuse d’un point de vue ergonomique alliant une commode et une chaise rembourrée. L’ordinateur portable est posé sur un support en crochet, dehors j’entends les cloches des vaches.

Je pourrais encore améliorer l’ergonomie... mais au moins, l’air est pur ici.
Je pourrais encore améliorer l’ergonomie... mais au moins, l’air est pur ici.
Source : Simon Balissat

Lundi, 09 h 48, 16°C à Juf, 23°C à Zurich

J’arrive en retard à la première réunion ; pas parce que la ligne Internet est mauvaise, mais parce que j’ai tout simplement perdu la notion du temps. Après un test de vitesse WiFi, je constate qu’il y a tout de même 15 Mb/s ici. Les lignes vers Hambourg et Zurich semblent fonctionner, j’entends tout le monde clairement. Malheureusement, j’entends aussi la douche de l’étage dans le couloir, car la porte de ma chambre présente une fente de quelques centimètres au sol. Malgré un environnement sonore malheureux et un poste de travail improvisé, j’arrive à me concentrer. Aucune perle de sueur ne coule désagréablement le long des aisselles, le T-shirt ne colle pas au dos. Après la réunion, je me plonge dans la rédaction.

Lundi, 12 h 30, 21°C à Juf, 26°C à Zurich

Je prends mon repas de midi dans le jardin de la pension Edelweiss, où j’ai loué une chambre. Le soleil réchauffe la vallée d’Avers à plus de 20 degrés. Est-ce que d’autres personnes ont eu la même idée que moi ? À côté de moi, un groupe d’apprentis est assis avec leur maître d’apprentissage. Ils apprennent pour un examen. Probablement des charpentiers, ils parlent d’essences de bois et de la composition du béton ; eau, granulats, ciment. Tout le monde commande le « menu de la semaine » : saucisse à rôtir et frites. À en juger par l’accent, les apprentis devraient être originaires de la région. Je choisis la « salade de cervelas et fromage garnie », le menu du jour. À peine ai-je pris ma décision qu’un groupe d’hommes s’assoit à ma table.

Le menu du jour : salade de cervelas et fromage. Si Pornhub existait pour la nourriture, cette photo serait dans la rubrique « Amateurs ».
Le menu du jour : salade de cervelas et fromage. Si Pornhub existait pour la nourriture, cette photo serait dans la rubrique « Amateurs ».
Source : Simon Balissat

L’un d’eux pense que je suis journaliste de la Südostschweiz, car mon ordinateur portable et mon appareil photo sont posés à côté de moi. « Non, de Galaxus », expliqué-je poliment. Des visages perplexes. Je veux savoir s’ils viennent d’ici. « Non de l’Appenzell ». Quelques minutes plus tard, on me demande : « Galaxus, la boutique en ligne ? J’y ai déjà passé commande. Tu y travailles dans l’entrepôt ? » Je réponds par la négative et explique que nous faisons quelque chose de comparable au Magazine Migros, mais en ligne. Le groupe acquiesce, un peu perplexe, puis se consacre au repas. Là encore, le « menu de la semaine » : saucisse à rôtir et frites.

La vue depuis la terrasse.
La vue depuis la terrasse.
Source : Simon Balissat

Lundi, 16 h 10, 23°C à Juf, 32°C à Zurich

J’ai le soleil sur l’écran et les bras. Il est temps de faire une pause rédactionnelle. Je décide d’aller explorer le village. Au bout de trois minutes, j’arrive à la sortie du village et je prends une photo du panneau d’agglomération. Derrière moi, un motard s’arrête et me demande si je veux prendre encore d’autres photos. « Non. » Motard : « J’aimerais aussi faire une photo. » Je lui demande s’il souhaite que j’en prenne une pour lui. « Non. » Nous nous disons poliment au revoir.

Je retourne de là où je viens et me rends au magasin du village. Une pancarte est accrochée entre toutes sortes de souvenirs avec la croix suisse. « TOUT VOL SERA DÉNONCÉ ! », peut-on y lire, et l’on est menacé d’une amende supplémentaire de 350 francs suisses si l’on venait tout de même à voler quelque chose. Je ne sais pas comment ce montant est calculé exactement.

Un avertissement pour les voleurs potentiels.
Un avertissement pour les voleurs potentiels.
Source : Simon Balissat

Je dépense 14,50 francs suisses, pour une crème solaire indice de protection 50+. J’aurais pu l’obtenir à un prix plus avantageux dans notre boutique en ligne, mais je l’ai oublié à Zurich. Quand je demande s’ils prennent la carte, la vendeuse âgée me répond :« Malheureusement, nous n’acceptons que les espèces. » « Le distributeur le plus proche est à Andeer », ajoute-t-elle. Cela représente une demi-heure de trajet en car postal, qui ne s’arrête à Juf que toutes les deux heures. Je n’achète donc pas de crème solaire et reste à l’ombre. Je m’apprête à remettre le tube en place lorsque la vendeuse ajoute que TWINT fonctionne aussi et sort un papier avec un numéro de téléphone portable.

Le thermomètre affiche un peu plus de 20 degrés.
Le thermomètre affiche un peu plus de 20 degrés.
Source : Simon Balissat

Après avoir mis de la crème, je retourne m’asseoir dans le jardin. Maintenant, la majorité de la clientèle est des randonneurs et randonneuses. Rivella, bière et cidre, le tout accompagné de croissants aux noisettes emballés dans de la cellophane. Les cendriers font la pub pour Coca-Cola Light. Faire de la publicité pour le Coca Light sur des cendriers est presque aussi bizarre que d’imprimer le logo Coca Light sur des Crocs de taille 48.

Crocs Clog X Coca-Cola Light 207220-030 taille 48 (48)

Crocs Clog X Coca-Cola Light 207220-030 taille 48

48

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Chaussons

Crocs Clog X Coca-Cola Light 207220-030 taille 48

48

D’ailleurs, le Coca Light n’existe plus que parce les gens qui le commandent n’ont jamais bu de Coca Zero.

Lundi, 19 h 20, 20°C à Juf, 31°C à Zurich

Le dîner est servi à 18 h 30 précises. Un groupe est assis à l’une des tables et boit du vin, tandis qu’un de leur membre les divertit. On alterne maladroitement entre l’allemand, l’anglais et le français, car tous ne maîtrisent pas toutes les langues. Quelqu’un prétend qu’Instagram a été inventé avant Facebook. La table en prend note et personne ne vérifie les faits. « C’est donc ainsi que naissent les fake news », me dis-je. Je termine ma coupe de glace « Hot Berry » (comprise dans le menu demi-pension) et je monte dans ma chambre.

Une femme sort de la pièce voisine avec son vélo. À Zurich, je comprendrais qu’elle souhaite se protéger contre les voleurs, mais qui va voler un vélo à Juf ? Qui a tellement peur au point de l’emmener dans sa chambre ? La scène me semble si absurde qu’elle pourrait être tirée d’un script de film pour une comédie suisse :

« L’occasion fait le larron » – une comédie

À Juf, dans la vallée d’Avers, une touriste emmène chaque jour son vélo dans sa chambre d’hôtel pour éviter qu’il ne soit volé. Une fois, alors qu’elle veut faire des emplettes dans le petit magasin du village, elle verrouille son vélo devant ce dernier. La vieille femme du magasin l’entraîne dans une discussion sur le montant de l’amande qu’elle facture aux éventuels voleurs. La touriste est fermement convaincue que 350 francs sont insuffisants, surtout avec l’inflation actuelle. En sortant du magasin, elle s’aperçoit que son vélo a disparu. Le commissaire grincheux Menn, lui aussi originaire de Juf, mais qui attendait paisiblement son départ à la retraite dans quelques mois au poste de police d’Andeer, enquête sur cette affaire et découvre un sombre secret !

La deuxième partie de mon reportage à Juf arrivera dans les prochains jours ; si quelque chose de passionnant m’arrive.

Le coucher du soleil vu de Juf.
Le coucher du soleil vu de Juf.
Source : Simon Balissat

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Lorsque j’ai quitté le cocon familial il y a plus de 15 ans, je n’ai pas eu d’autre choix que de me mettre à cuisiner pour moi. Cela dit, il ne m’aura pas fallu longtemps avant que cette nécessité devienne une vertu. Depuis, dégainer la cuillère en bois fait partie intégrante de mon quotidien. Je suis un vrai gastronome et dévore tout, du sandwich sur le pouce au plat digne d’un restaurant étoilé. Seul bémol: je mange beaucoup trop vite. 


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