Madame Schulz, à partir de quel âge peut-on donner un smartphone à notre enfant ?
Qu’il s’agisse des nôtres ou de ceux de nos enfants, les téléphones font partie de notre quotidien. À partir de quand un enfant peut-il avoir le sien ? J’ai demandé à une experte en médias de nous répondre.
Je suis tout à fait consciente de l’omniprésence du numérique dans la vie de mes enfants. J’ai même remarqué qu’ils ont plus de facilité à utiliser mon téléphone que moi ! Pourtant, j’ai de la peine à les imaginer en avoir un ; à chaque fois que je vois des enfants plus âgés sur leur smartphone, ça me fait bizarre. Je sais que n’y échapperai pas.
Avant ma discussion avec Iren Schulz, experte en médias, je m’étais juré qu’aucun des deux n’en recevrait un avant ses 14 ans. Maintenant, je me dis que je peux m’assouplir un peu.
Madame Schulz, à partir de quand mon enfant peut-il avoir un téléphone portable ? Existe-t-il une règle universelle ?
Malheureusement, non. Beaucoup de parents s’inquiètent et aimeraient élucider cette question complexe.
Le développement des enfants est très individuel. Tous n’appréhendent pas les médias numériques, leur fonction et leur raison d’être de la même manière. En pédagogie, on dit qu’avant onze ans, ils ne peuvent pas comprendre réellement ce qu’est un smartphone sans contrôle parental, ni l’utiliser correctement, en toute sécurité.
Pourtant, dès leur scolarisation, cet appareil revêt une importance primordiale. On peut toutefois trouver un équilibre. Si l’enfant en possède déjà un, son utilisation doit être fortement restreinte : pas de forfait Internet, de possibilité d’acheter quoi que ce soit, aucune connexion aux réseaux sociaux. Dans un premier temps, il vaut mieux se limiter aux appels et aux SMS. Les parents pourront ensuite ajouter d’autres fonctions progressivement, tout en accompagnant leur enfant.
Conseillez-vous aux parents de donner un smartphone à leur enfant de six ou sept ans, soit dès l’école primaire ?
Beaucoup de familles le font. Je pense qu’il vaut mieux commencer par rationner l’utilisation, puis l’étendre au fur et à mesure, pour ne pas qu’il se sente dépassé et éviter les dépenses inconsidérées. N’oublions pas non plus les risques associés aux interactions avec autrui. Qui peut communiquer avec votre enfant sur son smartphone, et quelles sont ses intentions ? En principe, un enfant n’a pas besoin d’avoir Whatsapp. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) interdit d’ailleurs cette appli aux moins de 18 ans, car elle comporte de nombreux risques.
Les enfants reçoivent souvent très tôt un téléphone, pour que leurs parents puissent les contacter lorsqu’ils rentrent seuls de l’école. Whatsapp ou TikTok ne sont pas nécessaires, une fonction de messagerie par SMS, voire l’appli des transports publics locaux, suffisent. Si tout se passe bien, rien ne s’oppose à l’ajout d’autres fonctions par la suite. Le site ci-dessous illustre de manière conviviale les différentes étapes à suivre pour régler le contrôle parental sur les ordinateurs et les appareils mobiles : www.medien-kindersicher.de (en allemand).
Diriez-vous qu’un enfant est prêt à avoir un téléphone portable sans contrôle parental à partir de onze ans ? Ou doit-on continuer à l’accompagner ?
Ce chiffre correspond à une étape décisive du développement cognitif. C’est à partir de ce moment-là que le cerveau est capable de comprendre comment fonctionnent le Bluetooth, le réseautage sur les médias sociaux, le marketing d’influence, ou les achats intégrés aux applis. De nombreux jeux sont conçus de manière à ce que les utilisateurs dépensent de l’argent pour progresser. Or ces notions sont souvent trop complexes pour les enfants, qui doivent encore être accompagnés lorsqu’ils s’amusent sur leur écran. Les outils de contrôle parental, comme Google Family Link ne suffisent pas ; il faut leur fournir des explications. Je conseille aux parents de passer en revue les différentes fonctions de l’appareil, son paramétrage, mais aussi ce qui leur est interdit.
Bien que certains parents refusent catégoriquement que leur enfant ait un téléphone avant d’avoir atteint un certain âge, ils craignent que leur enfant ne perde contact avec ses amis.
Dans la plupart des cas, leurs raisons sont légitimes. Nous, les membres de l’initiative Schau Hin !, apportons des arguments supplémentaires, et les aidons à expliquer leur décision à l’enfant. Après tout, éduquer revient aussi à imposer des limites. Ils n’ont pas non plus à craindre que l’enfant ne soit isolé, s’il est bien intégré dans sa communauté et s’il a des amis, chacun s’adaptera pour rester en contact.
Certains parents sont très stricts et surveillent étroitement leur enfant. Ce n’est pas non la solution, puisqu’interdire quelque chose n’enseigne pas à l’enfant comment le gérer. Les smartphones et les médias numériques sont omniprésents. Je pense qu’il vaut mieux apprendre à l’enfant petit à petit comment s’en servir au lieu de les lui interdire jusqu’à ses 14 ans, par exemple.
Les parents sont souvent hésitants. Ils tentent d’éviter toute prise de décision, alors qu’ils savent où en est leur enfant dans son développement, et ce qui est bon pour lui. En tant que coach en médias, j’essaie de les inciter à bien se renseigner sur cette thématique. Je souhaite aider chaque famille à trouver la solution qui lui convient.
D’où viennent ces insécurités ? Au fait que les parents actuels n’ont pas grandi avec un téléphone portable ?
Oui, en partie. Beaucoup d’entre eux ignorent comment utiliser certaines applis, ce qui les inquiète. Cela dit, ils n’ont pas à connaître tout sur tout pour avoir une idée des risques potentiels. Ils sont adultes, et ils ont bien plus de recul qu’un enfant, qu’ils connaissent telle ou telle appli, ou non.
Je vois parfois des enfants de neuf ou dix ans se balader dans la rue, scotchés sur leur écran. En tant que mère, j’ai peur que mes fils se comportent exactement de la même façon. Que faire ?
C’est l’âge le plus critique, car les enfants sont particulièrement ouverts et curieux. Ils n’ont pas de limites lorsqu’ils consomment les médias. Lorsqu’on leur dit qu’ils doivent ranger leur tablette au bout d’une demi-heure, ils ne le font pas. Ils sont bien trop absorbés pour avoir un quelconque recul ; ils ne poseront pas leur tablette ou leur smartphone volontairement. Nous accordons la priorité aux devoirs à faire avant de s’amuser, mais les enfants ne sont pas assez avancés dans leur développement cognitif pour pouvoir appliquer ce principe.
On doit donc imposer des limites, surtout chez les plus jeunes. À cet effet, on peut se servir d’outils tels que Google Family Link ou de périodes de connexion prédéfinies sur le routeur. Au bout d’une demi-heure, la connexion est interrompue. Les enfants commencent alors à se rendre compte que le temps file, c’est essentiel au début. On peut définir des périodes d’utilisation pour les applis individuelles, pas pour l’ensemble de l’appareil. Par exemple, on peut régler YouTube pour qu’elle ne fonctionne plus à partir de 18 h, alors que les pistes audio continuent à fonctionner.
Qu’en est-il en réalité ? À quel âge les enfants reçoivent-ils un smartphone ?
L’étude KIM (enfants) et l’évaluation JIM (adolescents) menées par le réseau de recherche en pédagogie des médias du sud-ouest de l’Allemagne (en allemand) donnent une bonne idée de la situation chez nos voisins. Ces travaux sont également disponibles pour les familles avec enfants en bas âge. Les résultats montrent non seulement que les enfants et les adolescents ont leur propre smartphone, mais que les jeunes enfants et les nourrissons sont eux aussi sur les écrans. Ils sentent à quel point ces appareils nous accaparent nous, adultes.
En tant que parents et personnes de référence, nous leur servons de modèles. Les enfants veulent avoir leur propre téléphone lorsqu’ils entrent à la maternelle, voire avant. Au primaire, beaucoup d’entre eux en ont déjà un. Selon moi, il est d’autant plus important de faire preuve de pédagogie et de trouver un bon équilibre. Par exemple, expliquer que les smartphones et compagnie font partie de la vie de famille et du quotidien, mais qu’ils doivent être utilisés en toute sécurité, avec un adulte, et pas trop longtemps.
À quoi doit-on prêter attention lorsqu’on achète un téléphone portable pour son enfant ?
Il existe un marché pour les smartphones destinés aux enfants. Mon avis est partagé, car tout dépend plutôt de la manière dont on paramètre l’appareil. Un téléphone destiné à toute la famille suffit. Optez pour un modèle dont le système est encore mis à jour, pour pallier les failles de sécurité. Ne choisissez pas non plus un iPhone dernier cri, bien trop cher. Les enfants ne comprennent pas la valeur monétaire de ces appareils, et ils attisent la jalousie de leurs camarades. Il vaut mieux commencer par une carte SIM prépayée, verrouiller les achats intégrés dans les applis, les fournisseurs tiers, et autres, pour préserver encore un peu vos enfants.
À quoi d’autre devrait-on réfléchir ?
En tant qu’adultes, nous jouons un rôle de modèle essentiel. Si nous voulons que nos enfants adoptent certains comportements, nous devons leur servir de modèle, surtout en ce qui concerne l’utilisation des médias. Nous ne pouvons pas attendre d’eux qu’ils suivent des règles auxquelles nous dérogeons. Après tout, nous avons nous aussi de la difficulté à nous passer de nos smartphones ! Sachez que c’est durant leur première année de vie que les tout-petits tissent les liens primordiaux qui les sécurisent et continueront à les nourrir pendant toute leur vie. Si ces personnes de référence ont toujours le nez rivé sur les écrans, ils peuvent développer des troubles de l’attachement et du comportement. Je trouve qu’il est particulièrement important d’en informer les parents. Ils ne savent pas à quel point interrompre leurs activités familiales pour consulter leur téléphone peut occasionner des troubles chez leurs enfants.
Que recommandez-vous ?
Insistez sur le fait que les smartphones et autres tablettes sont interdits durant les moments passés en famille, comme les repas ou les loisirs. Chacun doit ranger son appareil, ou au moins le mettre au mode avion. Tout le monde en profite, adultes y compris. On voit d’ailleurs souvent à quel point prendre des photos agace les enfants lors des sorties familiales. Demandons-nous si nous devons vraiment immortaliser mille fois ces moments.
Que pensez-vous du débat actuel sur l’interdiction des téléphones portables dans les écoles ?
Je pense que cette interdiction serait difficile à mettre en place. Comment vérifier qu’elle est bel et bien respectée ? Je ne trouve pas cela constructif. Il vaudrait mieux réfléchir à une manière d’utiliser intelligemment les smartphones pendant les cours, et des moments où les ranger. On peut aussi définir des règlements internes, en discutant avec les écoliers. Par exemple, les téléphones portables pourraient être intégrés aux cours spécialisés, puis interdits durant la pause.
Encore une fois, on n’enseigne pas aux enfants à les utiliser de manière responsable en les interdisant. Une telle interdiction est de toute manière impossible à mettre en œuvre, sans compter que certains parents laisseront quand même leurs enfants amener un téléphone à l’école. Dans l’idéal, il vaut toujours mieux communiquer et chercher des solutions faciles à mettre en pratique. C’est la seule manière d’agir pour le bien des enfants et de les préparer à l’avenir des médias.
Merci pour cet entretien !
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Véritable enfant du journalisme local avec un penchant secret pour la musique populaire. Maman de deux garçons, d'une chienne et d'environ 400 petites voitures de toutes les couleurs et de toutes les formes. En dehors de cela, j'aime voyager, lire et assister à des concerts.