« Aucune idée » : le fléau des commentaires inutiles
1/11/2023
Photos: Christian Walker
Traduction: Stéphanie Casada
Pourquoi retrouve-t-on des avis inappropriés dans les boutiques en ligne ; même chez nous ? Ou des réponses à des questions qui n’ont pas été posées ? Je ne suis pas que journaliste, je suis aussi client (bye bye les honoraires !) et je m’agace régulièrement de la paresse et des bavardages de certaines personnes.
L’Internet est une belle invention. Du moins en théorie. Car à chaque victoire (on retrouve par exemple une vieille connaissance) s’enchaîne une défaite de taille (une vieille connaissance vous retrouve). Les avis des client·es fournissent un exemple particulièrement frappant de cette contradiction : d’une part, ils sont extrêmement utiles, car ils donnent une image réaliste des produits, mais d’autre part, ils sont complètement inutiles, car de nombreux·ses utilisateur·rices pensent que des évaluations comme « Fait ce qu’il doit faire » ou « Super » sont suffisamment pertinentes. Ou parce que ces client·es ne jugent pas l’article commandé, mais sa livraison, et qu’iels se vengent en attribuant une étoile sur cinq si celle-ci n’a pas fonctionné comme prévu.
Lorsqu’Amazon et, peu après, Digitec Galaxus ont introduit la possibilité de poser des questions à la communauté, cela a aussi d’abord été une évolution réjouissante. Car souvent, même les critiques les plus fondées ne révèlent pas le détail qui nous préoccupe sur le moment : un·e enfant de neuf ans peut-iel gonfler le SUP tout·e seul·e ? Quelle est la durée maximale d’un enregistrement en accéléré ? Une réponse utile ne se fait jamais attendre.
D’ailleurs, les réponses inutiles non plus. On voit de plus en plus de réponses du genre « Aucune idée » ou encore « Je ne sais pas ».
Non, vous ne l’avez pas fait !
Ahah, vous ne le savez donc pas ! Alors pourquoi diable perdez-vous votre temps et le mien avec cette communication superflue ? C’est ce que vous faisiez à l’école ? L’instituteur·rice vous a demandé ce que 84 divisé par sept donnait, et vous avez levé le doigt très haut pour crier « Je ne sais pas » ? Ça m’étonnerait ! Vous n’avez rien dit. La bonne attitude à adopter.
Une variante de la réponse inutile, non moins gênante, est le whataboutism, c’est-à-dire la mauvaise habitude de repousser une discussion sur un thème à peu près voisin par manque d’arguments. Du style :
« L’étiquette A me permet-elle d’imprimer les étiquettes de colis du site Internet de la Poste ? »
« J’utilise l’étiquette B pour les timbres. »
Je n’ai pas demandé d’étiquette B ni de timbres, espèce d’imbécile ! Lis donc ce qui est écrit ! C’est ce que vous faisiez en classe quand le·a professeur voulait savoir ce que 12 fois six faisait ? Est-ce que vous avez crié : « Je sais ce que donnent huit fois quatre » ? Ça m’étonnerait ! Parce que ce n’était pas la question !
On ne peut que s’interroger sur les raisons de ce comportement. Il s’agit probablement d’une forme particulièrement désespérée de besoin de reconnaissance, qui saisit toutes les occasions imaginables pour se faire remarquer. Les gens n’y peuvent rien si vous avez l’impression d’être invisible. C’est votre problème et vous devez trouver d’autres moyens de le résoudre que de faire perdre du temps aux autres. Iels reçoivent en effet un e-mail de Digitec Galaxus indiquant que quelqu’un a répondu à leur question et se réjouissent de lire la réponse. Tout ça pour découvrir que vous n’en avez littéralement aucune idée.
Mais vous pensez peut-être aussi que seule la personne qui pose la question recevra votre réponse, sous la forme d’un e-mail. Ou peut-être êtes-vous particulièrement poli·e et répondez par principe quand on vous pose une question. Laissez-moi vous dire une chose : tout le monde voit votre réponse, et la question ne vous était pas adressée personnellement, mais tous·tes les acheteur·ses précédent·es du produit la reçoivent. Personne ne saura jamais que vous n’avez pas répondu. Vous avez tout à fait le droit de ne rien dire !
Trois demandes urgentes
Premièrement : si vous avez acheté un produit, rédigez un commentaire qui aidera les autres à en savoir plus et à prendre une décision d’achat ; qu’est-ce qui vous plaît, qu’est-ce qui vous plaît moins ? Pourquoi avez-vous choisi cet article et le referiez-vous ? Ça ne vous prendra que cinq minutes. Si vous n’avez pas envie de le faire, il vaut mieux ne pas le faire du tout. Ce n’est rendre service à personne que de donner trois étoiles sur cinq, mais de ne pas expliquer pourquoi. Même les jugements réduits au maximum, comme « Fait ce qu’il doit faire », n’apportent rien à personne. Ce n’est pas un avis, mais juste de la paresse. J’ai horreur de tomber sur cette phrase. Fait ce qu’il doit faire – on peut le dire de n’importe quoi !
Deuxièmement : si quelque chose ne va pas avec la livraison, c’est vrai que ce n’est vraiment pas cool, mais les autres client·es s’en contrefichent. Gardez-le plutôt pour vous ou, si vous n’y arrivez pas, mentionnez-le brièvement dans les points négatifs. Mais ne jugez pas le produit en fonction du chemin qu’il a parcouru pour arriver jusqu’à vous, puisqu’il n’y a aucun rapport. Ou laissez-vous un mauvais commentaire sur Google pour un restaurant parce que vous avez été bloqué dans un embouteillage en route ?
Et troisièmement : si quelqu’un vous pose une question, ne répondez que si vous savez répondre. Seulement dans ce cas ! Ne parlez pas de vos fichus timbres si personne ne vous l’a demandé ! Réprimez l’impulsion de vous immortaliser malgré tout sur Internet. Ne dites rien.
Protégez l’environnement numérique !
Vous vous souvenez de la publicité télévisée du magazine Focus (en allemand) ? La phrase qui revenait à la fin de chaque épisode était : « Pensez toujours au·à la lecteur·rice ! » Et bien, ça vaut aussi pour vous : ce que vous dites est-il intéressant et utile pour les autres utilisateur·rices ? Ou cherchez-vous juste à faire passer le temps ?
Des commentaires irréfléchis et sans substance, il y en a déjà plus qu’assez dans les colonnes de commentaires en ligne des quotidiens et des médias sociaux. Protégez l’environnement numérique ! Ne laissez pas de déchets de mots sur les chemins de randonnée à travers le monde merveilleux des appareils photo numériques, des smartphones et des sets Lego ! Pensez aux générations futures, qui ne veulent vraiment pas savoir ce que vous ne savez pas !
Thomas Meyer
freier Autor
Né à Zurich en 1974, Thomas Meyer est écrivain. Il a travaillé comme rédacteur publicitaire jusqu'en 2012, date à laquelle son premier roman, « Le formidable envol de Motti Wolkenbruch », a été publié. Papa d'un garçon, il a toujours une bonne excuse pour acheter des Lego. Pour en savoir plus sur lui : www.thomasmeyer.ch.