De la planification au trail VTT : le savoir-faire suisse au service des destinations touristiques du monde entier. Deux spécialistes de la construction de trails nous en disent plus
Depuis 2003, Allegra Tourismus soutient diverses destinations pour le VTT dans leur développement. Aujourd'hui, l'entreprise engadinoise est active dans le monde entier. Pour ce faire, elle conseille ses clients non seulement sur la planification de l'ensemble de l'infrastructure, les services et le positionnement sur le marché, mais s'occupe également de la construction et de l'entretien des trails et des chemins de randonnée.
Au début du millénaire, le tourisme VTT en Suisse en est encore à ses débuts, contrairement à des pays comme les États-Unis et le Canada. En 2003, l'Engadinois Darco Cazin revient à Pontresina après un long voyage en Amérique du Nord. Et c'est là, impressionné par le boom du VTT outre-Atlantique, qu'il fonde avec son père Fadri l'entreprise Allegra Tourismus.
L'un des premiers clients est Livigno en Italie, qui a engagé les Engadinois comme consultants pour les championnats du monde de VTT 2005. Aujourd'hui encore, Allegra Tourismus continue de conseiller ses clients dans le monde entier. En outre, Allegra planifie l'infrastructure complète pour une destination ou une région, comme pour le canton des Grisons par exemple. De plus, l'entreprise se charge de la construction et, sur demande, de l'entretien des trails et des chemins de randonnée. Et les Grisons sont devenus, notamment grâce à Allegra Tourismus, le canton numéro un pour les VTT en Suisse au cours des 20 dernières années.
Faire du vélo : l’ADN de l'entreprise
Le directeur général d'Allegra est aujourd'hui Domenico Bergamin. Au cours de sa carrière professionnelle, ce père de famille de Lenzerheide a occupé différentes fonctions dans le tourisme. Il a notamment assuré l'intérim du directeur de l’office de tourisme à Lenzerheide. Ce diplômé en sciences du sport et en gestion d'entreprise est responsable des aspects opérationnels de l'entreprise depuis six mois. Je rencontre l'homme de 41 ans dans son bureau de Zurich-Wiedikon, loin des singletrails captivants, pour une interview.
Domenico Bergamin, est-ce que seuls des vététistes travaillent chez vous ?
Si une personne correspond au profil du poste, je l'engagerais même si elle ne fait pas de VTT. Cependant, je ne pense pas que quelqu'un sans lien avec le VTT postulerait chez nous. Je pense que cela se fait tout seul. Dans notre entreprise, tous les employés font du vélo. Qu’ils ou elles soient débutant·es ou expert·es.
Comment résumerais-tu votre philosophie d’entreprise ?
En fin de compte, il s'agit pour nous de permettre aux personnes vivant en montagnes de gagner leur vie de manière durable grâce à notre travail. Et ce, grâce aux sports de plein air. À l’époque, la passion de Darco Cazin était le VTT, aujourd'hui nous accompagnons nos clients de manière globale. Nous planifions et construisons des trails, et les entretenons sur demande. Mais nous construisons aussi des sentiers de randonnée, développons des plans directeurs pour les régions touristiques et les autorités, concevons des offres pour différents groupes cibles et aidons nos clients à comprendre ce que veulent les vététistes pendant leurs loisirs ou leurs vacances.
Et, que cherchent-ils pendant leurs vacances ?
En premier lieu, une découverte du paysage et de la nature. C'est ce qui ressort de nombreux sondages. Que ce soit pour les vététistes, les randonneuses et randonneurs ou les adeptes du trail running : tous cherchent la même chose. Cette expérience est grandiose dans tout l'espace alpin. D'un côté, c'est génial, mais de l’autre, cela ne rend pas les destinations uniques. Ce qui est donc intéressant pour les vététistes, c'est avant tout un réseau de sentiers variés. C'est la motivation principale : où puis-je faire de beaux trails dans un paysage varié ?
Quel rôle joue la tendance des VTT électriques, est-ce que cela change aussi le type de trails que vous construisez ?
En principe, cela n'a pas d'influence sur la construction de sentiers, car ces vélos se manient de manière similaire à ceux sans assistance électrique. Ce qui change, c'est la manière, ou plutôt la vitesse, à laquelle la ou le cycliste avec VTT électrique gravit la montagne. Cela entraîne parfois des conflits avec d'autres usagers du sentier. Ici, on essaie de séparer les pistes purement ascendantes des pistes purement descendantes.
Restons encore un instant sur le vélo électrique ; c’est un sujet qui polarise. Que penses-tu de cette évolution ?
Ces dernières années, de nombreux « trail centers » où l’on peut apprendre les techniques de bases du VTT ont ouverts dans les agglomérations des grandes villes. Swiss Cycling s'efforce par exemple fortement d'inciter les gens à suivre des cours avant de monter sur un vélo électrique de location pendant les vacances d'été.
Cela peut tout à fait avoir des conséquences fatales.
Absolument. Le vélo électrique permet à de nombreuses personnes de se rendre à des endroits où elles n'auraient jamais pu aller à la seule force de leurs muscles. Dans ces cas, la technique correspondante nécessaire fait souvent défaut. On voit cela sporadiquement chez les touristes qui ne font que rarement, voire jamais, de vélo, qui louent un vélo pendant leurs vacances et qui se retrouvent impuissants au sommet d’une montagne.
Que recherchent aussi ces personnes ? Indépendamment du fait qu'elle se déplace à la seule force de leurs muscles ou avec l’aide d'une batterie.
Il s'agit de savoir où les vététistes peuvent se déplacer en rencontrant le moins de conflits possible. Ceux qui pratiquent le VTT depuis longtemps n'iront par exemple guère en Appenzell Rhodes-Intérieures. Il y a des histoires tragiques de paysans qui s'en prennent aux vététistes avec une fourche, de fils de fer barbelés tendus en travers de chemins, etc.
La répartition pour faire face au stress de densité ?
La pression sur l'espace alpin augmente. Toujours plus de personnes vont à la montagne pour s'y ressourcer ou y vivre des aventures. C'est selon. Le stress de densité sur les sentiers de randonnée et les trails de VTT augmente. Comment éviter les conflits entre les différents groupes d’utilisateurs ?
Le mot magique de ces dernières années est la répartition et elle est présentée comme la panacée pour résoudre le problème. Domenico Bergamin n'est toutefois que partiellement d'accord avec cela. On ne peut pas séparer complètement toutes les voies et les rendre exclusives pour chaque groupe d'utilisateurs. En effet, il y a des randonneuses et randonneurs, des cavalières et cavaliers, des personnes avec des chiens, certaines pratiquant le trail running, et des vététistes. À cela s'ajouteraient les personnes sur les vélos électriques, qui ont d'autres besoins que les cyclistes « standard », ceux sur les gravel bike, etc. Il est presque impossible de séparer tout cela.
Selon Domenico Bergamin, Allegra Tourismus suit une autre approche. Au départ, l’entreprise considère toujours l'espace dans son ensemble. Peu importe qu'il s'agisse d'un canton entier, d'une ville ou d'un village dans les Alpes. Quelles zones devraient être complètement protégées, où y aurait-il un espace de circulation que les gens pourraient emprunter ? Dans un deuxième temps, l’entreprise identifie, dans cet espace de circulation, les randonnées les plus populaires et les circuits VTT les plus appréciés.
Il s'agit de déterminer le plus précisément possible, dès le stade de la planification, quels sont les besoins des différents groupes d'utilisateurs. Souvent, il serait tout à fait possible de miser sur la coexistence pacifique des différents groupes. Toutefois, s'il y a des chemins très fréquentés et où, par exemple, les vététistes et les randonneurs se croisent fortement, la répartition entrerait en jeu.
De Zurich à Schruns
Changement de scène ; quelques semaines après avoir rendu visite au directeur d'Allegra Tourismus à Zurich, je suis en Autriche. L'entreprise y construit quelques trails pour un nouveau client. Il s'agit de parcours réservés aux VTT, appelés single flow trails. Le moment idéal pour me faire une idée du travail sur place. Sur le chantier au-dessus de Schruns dans le Montafon, je rencontre le chef de chantier d'Allegra, Colin Leutenegger.
Colin Leutenegger, nous sommes assis ici sur une section d'un trail que vous venez de construire et qui sera bientôt ouvert. Quels sont les défis que toi et ton équipe devez relever ici, dans le Montafon ?
Le plus grand défi est certainement le terrain, car nous devons souvent travailler dans des zones très escarpées. Mais en règle générale, la construction de trails se compose exclusivement de défis (il sourit).
Peux-tu donner des exemples ?
Par exemple, une section du trail que nous sommes en train de construire traverse un terrain sur lequel les vaches passent régulièrement. Je ne peux pas encore finaliser le design de cette zone, car les vaches ne cesseraient de me manger les fanions avec lesquels je délimite le futur trail. Ainsi, je dois avoir toute la section en tête, sans pouvoir la signaliser. Cela rend le travail très pénible. Mais comme je l'ai dit, le plus grand défi est le terrain, lorsque l’on doit construire un virage dans une section raide.
Est-ce qu’il y a une différence pour toi, en tant que chef de chantier, de construire un trail en Suisse ou ici en Autriche ?
Comme nous avons, en plus de notre siège principal à Pontresina, une succursale à Innsbruck, nous connaissons parfaitement les conditions locales. Il en va de même pour la situation juridique légèrement différente. En ce qui concerne le client, Bergbahnen Silvretta Montafon, il souhaite la même chose que les clients en Suisse.
C’est-à-dire ?
En général, ils veulent une nouvelle attraction touristique sur leur montagne. Les remontées mécaniques ont intérêt à ce que les gens achètent un forfait, utilisent leurs infrastructures et créent ainsi des emplois.
Est-ce qu'il existe tout de même des différences ?
La particularité de la Silvretta Montafon Holding GmbH en tant que client est qu'elle possède, outre les remontées mécaniques, de nombreux restaurants et hôtels, ainsi que la location de vélos dans la vallée. Ainsi, les nouveaux trails génèrent une plus grande valeur ajoutée par rapport aux simples exploitants de remontées mécaniques, comme à Lenzerheide par exemple. Les nuits d'hôtel, la location de vélos et la gastronomie représentent plusieurs fois le prix du billet des remontées mécaniques.
La construction d'un trail est une chose, sa planification en est une autre. Combien de temps a-t-il fallu avant de pouvoir sortir les pelleteuses ?
La planification initiale du projet a déjà commencé en 2015. L'année suivante, un premier petit « skill center » pour les enfants a été construit sur la montagne. Le grand défi a ensuite été les négociations avec tous les propriétaires fonciers impliqués et avec les différents services administratifs. Le client les a menés et a obtenu les permis de construire en 2017. Il a fallu attendre 2021 pour à nouveau être impliqués. Ensuite, il y avait encore des détails à régler en raison des divers choix de lignes, jusqu'à ce que nous puissions finalement commencer les travaux de construction ce printemps.
Des années de planification, un temps de construction court
Au total, Colin Leutenegger et son équipe construisent ici, sur la montagne, trois trails de différents niveaux de difficulté sur une longueur d'environ sept kilomètres. Du simple flow trail pour débutants au single trail difficile avec des sauts pour vététistes expérimentés ; il y en a pour tous les niveaux. Les trails seront terminés et ouverts mi-août. Le client est ensuite responsable de l'entretien et de l'exploitation des trails.
Autre détail intéressant : en Suisse, la construction d'un mètre de trail coûte entre 50 et 100 francs, selon le terrain sur lequel il est construit.
En parlant de construction ; j'ai observé comment travaille l'équipe de trail et ai aussi mis la main à la pâte. Je vous raconterai bientôt ce qu'il en est ressorti. Suivez mon profil d'auteur en cliquant ici et restez au courant !
Ancien journaliste radio devenu fan de story telling. Coureur confirmé, adepte du gravel bike et débutant en haltères de toutes tailles. Quelle sera ma prochaine étape ?