En coulisse
Cinq semaines avant le semi-marathon : j’optimise mon alimentation
par Siri Schubert
Si, en matière d’alimentation, vous souhaitez vous informer sur les médias sociaux, les conseils et les interdictions sont légion. Pour y voir un peu plus clair, je me suis entretenue avec Gregory Grünig, expert en diagnostic nutritionnel à l’Institut Erpse.
En tant que sportive, il est clair que je souhaite veiller à une alimentation saine. Mais qu’est-ce qu’une bonne alimentation pour les personnes actives ? Les un·es conseillent le jeûne intermittent, les autres me disent de manger quatre fois par jour. Les un·es disent de ne surtout pas consommer de glucides, les autres recommandent les gels sucrés pour le sport. Je suis confuse et cherche une aide professionnelle auprès de Gregory Grünig.
Gregory Grünig est préparateur physique et expert en diagnostic nutritionnel à l’Institut Erpse. J’ai choisi cet établissement, car il est spécialisé dans la nutrition sportive. Le diagnostic nutritionnel proposé par l’Institut Erpse analyse l’activité physique, le sport et les facteurs psychologiques afin de recommander une alimentation adaptée aux besoins individuels. Après m’être fait examiner et conseiller en détail, j’ai encore quelques questions à poser à l’expert en nutrition.
Pour en savoir plus sur les tests faits et les conseils donnés, vous pouvez lire l’article ci-dessous.
L’alimentation et le sport vont toujours de pair. Certains font du sport pour perdre du poids, d’autres font attention à leur alimentation pour améliorer leurs performances. Y a-t-il des conseils universels que tu peux recommander aux sportifs et sportives ?
Gregory Grünig : s’il y a bien quelque chose d’universel, c’est la structure « roi, prince et pauvre », c’est-à-dire manger comme un roi le matin, comme un prince le midi et comme un pauvre le soir. Mais c’est bien la seule chose. Tout le reste dépend de la physiologie et de la psychologie de chacun·e. Il faut, par exemple, savoir si la personne est actuellement soumise à un stress élevé, si elle veut encore s’entraîner dans la journée ou si elle a fait un entraînement intensif la veille.
**Le jeûne intermittent est une tendance que j’observe presque tous les jours sur les médias sociaux. Dans une variante, il est recommandé de ne pas manger pendant la première moitié de la journée. Que penses-tu de ce conseil ? **
Rien de bien. Dans mon cabinet, je rencontre au moins une fois par semaine des personnes qui pratiquent le jeûne intermittent, consciemment ou inconsciemment. Lors de la spiroergométrie, où l’absorption d’oxygène est mesurée pour voir le fonctionnement du cœur, des poumons et de la circulation sanguine, des manques sont rapidement visibles. Il est possible que dans la zone de repos, l’absorption d’oxygène se soit améliorée lors du jeûne intermittent et que les processus inflammatoires aient diminué, mais dès que cette personne est soumise à un stress quotidien plus élevé ou des efforts plus intenses en sport, ses performances se dégradent massivement et des problèmes tels que des troubles du sommeil, des troubles gastro-intestinaux et une plus grande sensibilité peuvent survenir. C’est pourquoi je pense que l’adage « roi, prince, pauvre » est presque toujours la meilleure approche.
Qu’est-ce qui fonctionne moins bien dans le corps pendant le jeûne intermittent ?
Lorsque nous nous levons le matin, les réserves de glucose du foie sont majoritairement vides. En parallèle, le niveau de cortisol, une hormone du stress, est élevé pour nous permettre de nous réveiller. Si le taux de cortisol reste élevé, cela a un impact négatif sur notre corps. Un petit-déjeuner riche en glucides stabilise la glycémie et le taux de cortisol diminue. Un autre problème du jeûne intermittent est qu’en mangeant davantage dans la deuxième moitié de la journée, on stocke généralement plus de graisse corporelle au niveau du tronc et du ventre. D’autre part, il existe également des études qui montrent clairement que le jeûne intermittent a tendance à entraîner une augmentation de la graisse corporelle, car la plus grande quantité de calories est absorbée pendant la deuxième moitié de la journée. Mais le soir et la nuit, nous n’avons pas besoin d’autant d’énergie, car nous ne sommes plus aussi actifs.
Qu’est-ce qui est vrai dans l’équation : moins de calories et plus d’activité physique égale perte de poids ?
L’alimentation est bien plus complexe que cette simple équation. De nombreuses personnes qui viennent nous consulter ne mangent pas assez de calories pour leur métabolisme, mais ne perdent pas de poids ou en prennent même. Une des raisons pourrait être un taux de stress élevé ou une surcharge. À mon avis, recommander un déficit calorique de manière générale n’est pas une bonne idée.
Existe-t-il des situations dans lesquelles quelqu’un doit manger plus pour perdre du poids ?
Oui, bien sûr. Tout dépend de l’endroit où l’on veut perdre du poids. Si quelqu’un veut perdre du poids au niveau des bras et des jambes, il peut être utile de consommer plus de calories, car dans ces cas-là, il s’agit souvent de régénérer les muscles et ceux-ci récupèrent mieux lorsqu’il y a suffisamment de nutriments. Quand quelqu’un ne mange pas assez et que c’est la raison pour laquelle son corps est stressé, nous lui recommandons parfois aussi de manger davantage.
Quels sont les facteurs qui rendent la perte de poids difficile ?
Le stress est certainement le point le plus important. Ce dernier peut réduire la sensibilité à l’insuline. Les cellules musculaires ne peuvent donc pas correctement absorber les glucides et ces derniers sont alors stockés sous forme de graisse. Là où ils sont nécessaires, ils sont absents. Pour la production d’énergie, on fait alors appel à des protéines provenant du sang et éventuellement des muscles en guise de substitut. Lors de l’entraînement, surtout s’il est intensif, nous ne devrions toutefois pas nous mettre dans un état de dégradation. De plus, la dégradation des protéines entraîne à nouveau une augmentation de la sécrétion d’hormones de stress. Il s’agit là d’un cercle vicieux. De plus, l’eau est stockée à l’extérieur des cellules, ce qui entraîne une prise de poids. Si les sportif·ves ne récupèrent pas suffisamment entre les séances d’entraînement, soit parce qu’iels dorment mal ou qu’iels sont stressé·es, iels font davantage de rétention d’eau, prennent du poids et ont les jambes lourdes.
Comment savoir si je suis trop stressée ?
Beaucoup de personnes ne remarquent pas quand elles sont trop stressées. Les sportifs et sportives peuvent se retrouver dans un tel cycle de surmenage et de manque de récupération tout en ayant l’impression de bien faire les choses. Lorsque les mesures indiquent que la récupération et donc l’adaptation à l’entraînement ne sont pas optimales, beaucoup disent qu’iels ne se sentent pas stressé·es. Il faut cependant différencier plusieurs situations. Il se peut qu’une personne dorme mal ou vive une situation stressante au travail ou dans son quotidien. Il se peut aussi que le système cardiovasculaire ou les muscles soient trop sollicités par le sport, ou que le fait de ne pas manger suffisamment au cours de la journée (mot-clé : jeûne intermittent) plonge le corps dans une situation de stress. Ce sont justement les personnes qui voient le sport comme un exutoire et qui en font trop qui peuvent tomber dans ce cycle. Beaucoup ne sentent pas qu’elles sont dans une situation de stress parce que leur mental ne le perçoit pas ou pense devoir remplir toutes les exigences extérieures. Lorsque je dis à un sportif ambitieux qu’il s’entraîne trop, il me répond souvent que s’entraîner trop n’est pas possible. Mais si, c’est tout à fait possible. Tout peut être de trop.
Une bonne alimentation n’est donc qu’un facteur d’interaction entre le corps et l’esprit ?
Les facteurs psychologiques jouent un rôle important. Les expériences faites pendant l’enfance et l’adolescence influencent des traits fondamentaux comme le besoin de sécurité et le contrôle. Ces besoins influencent l’équilibre énergétique au quotidien. L’état d’esprit joue un grand rôle dans la question de savoir quand nous dépensons quelle quantité d’énergie dans quelles situations. En effet, les muscles et le cerveau ont besoin de beaucoup de nutriments, surtout de glucose. Si les activités ou besoins qui apportent et ceux qui consomment de l’énergie sont en déséquilibre, cela peut aussi entraîner une prise de poids. Il y a des personnes qui font tout ce qu’il faut niveau alimentation, mais qui ont malgré tout des problèmes parce que leur surcharge est émotionnelle. Il est alors pratiquement impossible de résoudre ce problème par des conseils nutritionnels si l’on ne sait pas où faire des changements. C’est comme si on se rendait chez le boucher avec notre voiture cassée et qu’on lui demandait de la réparer. Il en est incapable. L’idée primaire est donc de trouver les causes du problème et d’en tirer les bonnes conclusions. Dans le sport en particulier, on s’intéresse beaucoup aux facteurs physiologiques, mais il ne faut pas oublier de prendre en compte les facteurs psychologiques si nous voulons vraiment obtenir des changements positifs.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Les sportifs et les sportives doivent pouvoir s’isoler, se détacher lorsqu’iels ressentent une surcharge de travail. Cela signifie soit réduire l’activité professionnelle ou quotidienne, soit réduire la pratique sportive, afin de retrouver un équilibre énergétique. Beaucoup ont malheureusement toujours l’impression de devoir tout faire, même s’iels sont à bout. Cela peut fonctionner pendant une période, mais au bout d’un certain temps, le corps souffre. L’intestin, la peau ou les poumons peuvent d’ailleurs en faire les frais. Cela semble complexe, mais au cours de la consultation, on voit rapidement où se situe le problème. La question est alors de savoir si l’on peut ou si l’on veut changer les choses pour le moment.
De nos jours les intolérances alimentaires sont toujours plus fréquentes. Comment cela s’intègre-t-il dans le tableau ?
Chaque organe a son propre métabolisme et si l’approvisionnement en oxygène n’est pas optimal, il se peut que le système digestif en pâtisse. Si l’intestin ne reçoit pas assez d’oxygène, les processus anaérobies avec formation de lactate et d’acide se multiplient. Et si, en plus de cela, l’intestin est stressé par l’alimentation, des intolérances ou d’autres troubles digestifs peuvent survenir. L’idéal serait alors d’intervenir au niveau de l’alimentation et de l’entraînement. L’entraînement nous permet d’optimiser notre métabolisme, ce qui nous permet d’absorber plus d’oxygène. En adoptant la bonne alimentation et en suivant le bon timing, nous pouvons influencer l’entraînement de manière à ce qu’il apporte de réelles améliorations. Il s’agit de jouer au niveau de l’interaction des facteurs alimentation, mental, entraînement et récupération. Tous les quatre sont importants si nous voulons optimiser le métabolisme et obtenir des améliorations.
**Il existe actuellement une tendance à diaboliser certains types d’aliments. Prenons l’exemple du sucre. Qu’en penses-tu ? **
Ce qui est bien, c’est que tout a sa place dans l’alimentation. Bien sûr, c’est la dose qui fait le poison. Si nous mangeons une glace en été ou du chocolat entre les repas, ce n’est pas la fin du monde. Le sucre est également utile dans l’alimentation des sportifs. Sous l’effet de l’effort, le corps brûle du sucre et c’est pourquoi nous devrions également réintroduire du sucre, car ce type d’énergie est le plus rapidement disponible et ne surcharge pas inutilement le système gastro-intestinal. Avant, pendant et peut-être après le sport, on peut consommer du sucre, par exemple sous la forme d’un gel ou d’une boisson sucrée à base d’électrolyte, mais le sucre ne devrait pas être au menu.
Parlons des carences. Entre ami·es ou dans les médias sociaux, on a vite fait de recommander des comprimés de magnésium, des gouttes de vitamine D et d’autres compléments alimentaires. A-t-on besoin de ces compléments ?
Prendre de la vitamine D ou une multivitamine parce que l’on suppose qu’elle est bonne pour la santé n’est pas idéal. Les tests sanguins sont également souvent difficiles à interpréter. En effet, la composition du sang est soumise à des variations quotidiennes et une carence en magnésium peut être compensée dès le lendemain. Si des carences sont présentes, il faut aller au fond des choses. Prendre des compléments alimentaires sur un simple coup de tête n’est pas une bonne idée. Il est préférable de veiller à une alimentation riche en nutriments et en ingrédients frais et, si nécessaire, de recourir à un supplément ciblé, qui sera alors approprié et judicieux dans chaque cas.
Tu pars donc toujours de l’individu et des données que tu mesures dans un cas concret. Y a-t-il malgré tout quelque chose que presque tout le monde fait mal ?
Je dirais que la plupart des sportifs et sportives sous-estiment complètement la quantité de calories dont iels ont besoin. Les montres de sport, qui indiquent souvent des besoins caloriques trop faibles, jouent également un rôle. Cela peut en effet déclencher un trouble alimentaire. Lorsque nous faisons du sport, nous sommes physiologiquement en mode « chasse », ce qui est synonyme de stress. Sans alimentation suffisante, nous ne pouvons pas réaliser les progrès que nous souhaitons réellement accomplir. Souvent, s’y ajoutent des envies de sucre et une plus grande faim en deuxième partie de journée. L’autre erreur fréquente est de trop s’entraîner. Comme nous voulons obtenir de meilleures performances, nous en faisons plus ; ce qui est souvent la mauvaise solution. Parfois, il faut optimiser la régénération et parfois, il faut simplement manger plus.
Merci pour cette conversation, Gregory.
Photo d’en-tête : Oliver Fischer
Plongeuse scientifique, instructrice de SUP, guide de montagne... même si les lacs, les rivières et les mers sont mes terrains de jeu favoris, je ne me laisse pas porter par le courant, car j'ai encore beaucoup à apprendre et à découvrir. J'aime aussi prendre de la hauteur et changer de perspective en volant avec des drones et en faisant du trail.