
« Furiosa » est un échec – est-ce la fin de l’ère du cinéma ?
« Furiosa : une saga Mad Max » risque de faire un flop au box-office, malgré un budget important et d’excellentes critiques. Est-ce le début de la fin de l’ère du cinéma ?
Le long week-end du Memorial Day américain est l’une des fins de semaine les plus rentables de l’année en matière de cinéma. En effet, chaque dernier lundi de mai est une journée de commémoration dédiée aux soldats américains morts au combat. Le week-end dure donc un jour de plus que d’habitude, favorisant ainsi une augmentation des recettes. Les studios hollywoodiens en profitent aussi pour commercialiser un film en tant que blockbuster potentiel, si ce dernier signe un bon démarrage en salle en fin de semaine.
Mais c’est dommage quand le plan échoue. Furiosa : une saga Mad Max est sorti dans les salles le week-end dernier du Memorial Day. Mais, à la surprise générale, son démarrage au box-office est un échec. Beaucoup y voient la fin de l’ère du cinéma.
À juste titre ?
La pandémie a-t-elle causé des dommages irréversibles à l’industrie cinématographique ?
Selon The Guardian, le désastre se lit en chiffres : à peine 32 millions de dollars américains ont été récoltés par la folie apocalyptique de George Miller, malgré d’excellentes critiques. C’est mauvais. Même le très décrié The Little Mermaid de Disney a rapporté 118 millions de dollars américains pour le Memorial Day il y a un an. Comme si cela n’était pas une insulte suffisante, Furiosa a failli être battu par The Garfield Movie, un film pour enfants. Celui-ci a rapporté 31,2 millions de dollars américains.
Et ce n’est pas tout : pour trouver un film qui a été le plus regardé lors du Memorial Day, mais qui a rapporté encore moins d’argent que Furiosa, il faut remonter près de 30 ans (!) en arrière : à Casper, en 1995.
Le secteur du cinéma tire la sonnette d’alarme.
Les tentatives d’explication de la perte d’attractivité du cinéma sont nombreuses. Une critique souvent entendue est la lenteur avec laquelle les nouvelles technologies cinématographiques se développent, notamment en comparaison avec la qualité d’image du home cinéma. L’OLED, la résolution 4K et le Dolby Vision ont depuis longtemps distancé le cinéma, du moins sur le plan technologique. À cela s’ajoutent les progrès fulgurants du streaming et les productions de séries de plus en plus populaires, qui concurrencent la fréquentation des salles de cinéma, devenue de plus en plus chère. J’en ai déjà parlé en 2018 :
Mais le flop de Furiosa : une saga Mad Max pourrait aussi trouver son origine dans la pandémie de Covid. La fermeture des salles de cinéma pendant des mois de confinement a contraint les studios à reporter leurs sorties en salle sur leurs propres services de streaming. Nous nous y sommes rapidement habitués, au grand dam des exploitants de cinéma.
Le studio de cinéma Warner Bros. a même misé sur des sorties simultanées au cinéma et sur les services de streaming en 2021, alors que les derniers confinements étaient déjà passés. L’objectif était de rendre son propre portail de streaming « HBO Max » plus attractif et de mieux le commercialiser, mais cela a porté un coup irréfléchi et dur aux salles de cinéma. En effet, pourquoi acheter encore un billet coûteux alors que l’on peut regarder le même film confortablement installé chez soi sur son téléviseur pour un pop-corn nettement moins cher ?
« J’attends que ça soit disponible en streaming » est une phrase que j’entends souvent dans mon cercle d’amis en ce moment. Ce n’était pas le cas avant. Nous attendions en moyenne au moins trois mois avant qu’un film de cinéma soit disponible en DVD. Aujourd’hui, ce n’est plus que 30-45 jours. Soit un peu plus d’un mois. Un temps d’attente que de nombreux cinéphiles sont apparemment prêts à supporter.
Pas vrai ?
« Furiosa : une saga Mad Max » a-t-il même été surestimé ?
Certaines voix ne considèrent pas Furiosa comme un flop qui marquerait le déclin du cinéma. Au contraire, les difficultés rencontrées par le film au box-office seraient prévisibles selon elles, et on aurait même dû les voir venir. On ne peut donc pas parler d’un échec surprenant et alarmant.
L’une de ces voix est celle du journaliste de Deadline Anthony D’Alessandro, spécialiste du box-office. Dans son article (en anglais), il écrit que le véhicule d’action a tout simplement été surestimé. Beaucoup oublient en effet que Mad Max : Fury Road est certes l’un des exemples les plus brillants d’explosion d’action. Mais même Fury Road n’était pas un grand succès au box-office à l’époque puisqu’il n’a rapporté « que » 380 millions de dollars américains (en anglais) dans le monde. Un succès modéré – dans le meilleur des cas – pour des coûts de production et de marketing d’environ 300 millions de dollars US (en anglais). Furiosa a coûté au studio à peu près la même somme.
Si la mémoire collective de la culture pop se souvient malgré tout de Fury Road comme d’un jalon du cinéma, ce n’est pas en raison de son succès financier, selon D’Alessandro, mais grâce aux dix nominations aux Oscars que le film a reçues par la suite. L’une d’entre elles dans la catégorie « Meilleur film ». Inouï pour quelque chose d’aussi peu conventionnel. Fury Road a finalement remporté six Oscars, ce qui en fait l’un des grands gagnants de cette nuit des Oscars. Avec un tel succès, la suite n’aurait-elle pas dû faire beaucoup mieux ?
Non, poursuit D’Alessandro dans son article : d’une part, l’expérience montre que les préquelles ont de toute façon plus de mal à faire recette au box-office que les suites. D’autre part, c’est un film de niche qui ne convient pas au grand public. Aux États-Unis, les deux films sont classés « R » Chez nous, cela correspond à une interdiction aux moins de 16 ans. De plus, les personnages excentriques, la représentation explicite de la violence, les moteurs vrombissants et les apocalypses dans le désert ne plaisent pas à tout le monde. Les précédents films Mad Max des années 1980, avec Mel Gibson dans le rôle principal, n’étaient déjà que des succès de niche. Le succès de Fury Road a été une exception – « seulement » modérée de surcroît.
Les chiffres l’ont également montré : seuls 2 % du public américain qui ont vu Furiosa avaient moins de 17 ans. 29 % étaient des femmes. Et 9 % des spectateurs avaient plus de 55 ans. Il manque donc une grande partie du public potentiel, qui aurait dû assurer un chiffre d’affaires élevé pour le Memorial Day. Le studio Warner Bros. aurait dû en tenir compte lorsqu’il a accordé un budget aussi important au réalisateur George Miller dans l’espoir de réaliser un nouveau blockbuster à succès.
Ou pour reprendre les mots de D’Alessandro : « It was a ballsy greenlight ».
« La fin » ? Mon œil !
Les explications de D’Alessandro semblent plausibles, voire désespérantes. Selon lui, le secteur du cinéma ne se porte pas si mal que l’on pourrait le croire après les années de vaches maigres liées à la pandémie. Une estimation soutenue aussi bien par l’Office fédéral suisse de la statistique que par l’Office allemand de promotion du cinéma.
Selon cette dernière, les cinémas suisses ont enregistré plus de 10 millions d’entrées en 2023, un chiffre qui n’avait plus été atteint depuis le début de la pandémie. Par rapport à 2022, le nombre d’entrées a augmenté de 20 % et n’était plus que de 16 % inférieur à celui de la forte année cinématographique 2019. Chez le voisin allemand, même son de cloche : en 2023, on a atteint 81 % des ventes de billets et environ 91 % du chiffre d’affaires de l’année 2019.
Les signes de reprise sont là.
L’année 2023 a été marquée par de nombreux succès cinématographiques surprenants. Avec Barbie et Super Mario Bros. Le film, deux films ont franchi l’imposante barre d’un milliard de recettes. Oppenheimer et Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 se sont placés juste derrière. En revanche, le film qui a actuellement le plus de succès en 2024, Dune : Deuxième Partie, n’arriverait qu’en cinquième position en 2023, juste devant Fast X et Spider-Man : Across the Spider-Verse. L’actuel deuxième, Godzilla x Kong : The New Empire, n’arriverait même qu’en dixième position en 2023.
L’ère du cinéma touche-t-elle donc à sa fin ? J’en doute. Malgré des téléviseurs de plus en plus performants et des sorties de plus en plus précoces en home cinéma, une année 2023 aussi forte n’aurait pas été compréhensible si les gens n’avaient plus envie de voir des films. Mais ils sont devenus plus sélectifs. Ils ne vont plus au cinéma pour des films moyens qui ne sortent pas du lot. Pour les bons films en revanche, oui. De bons films, chers studios de cinéma d’Hollywood. Même pour des critiques sociales prétendument « woke » comme *Barbie ou des épopées lourdes de trois heures comme Oppenheimer.
C’est l’enseignement à en tirer.
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Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»