En coulisse

Guerre du fromage : autorisation de la fabrication du gruyère aux États-Unis

Selon un tribunal états-unien, le gruyère ne doit pas obligatoirement être produit en Suisse. Cette décision offusque les producteurs locaux : la recette inchangée du fromage est issue d’une tradition millénaire . De leur côté, les États-Unis n’ont pas besoin d’autant de temps pour résoudre un litige.

Le Gruyère AOP : qu’il soit consommé sur une planchette avec du pain ou mélangé à du vacherin pour préparer une fondue moitié-moitié, ce fromage est toujours bon. Le reste du monde l’a aussi remarqué, raison pour laquelle le gruyère a détrôné en 2009 l’emmental de sa place de roi des exportations : un tel succès attire les profiteurs.

Du gruyère texan ou californien ?

Les producteurs états-uniens, ayant remarqué que ce fromage était apprécié de la clientèle locale, fabriquent désormais leur propre « gruyère ». Cette décision énerve les producteurs de gruyère depuis longtemps déjà : en Europe, le fromage est en effet protégé par l’indication géographique « AOP ». Autrement dit, seuls les producteurs des cantons de Fribourg, Vaud, Neuchâtel, Jura et Berne (districts de Courtelary, Moutier et La Neuveville) ainsi que de quelques communes limitrophes au canton de Fribourg ont le droit de fabriquer le fromage. Il existe également des exceptions historiques qui expliquent l’existence de 17 producteurs suisses allemands,

mais les États-Unis s’en moquent. Pendant longtemps, la grande laiterie suisse Emmi s’en fichait aussi : elle produisait aussi le « gruyère » aux États-Unis afin de remplir ses caisses. Mais devant les critiques acerbes émises en Suisse, Emmi a fait marche arrière. Néanmoins, cette pratique n’était pas interdite et ne l’est toujours pas aujourd’hui : les États-Unis ne reconnaissent pas l’indication géographique. Un tribunal de l’État de Virginie l’a confirmé, après des années de litiges juridiques entre l’interprofession du Gruyère (IPG) et une association états-unienne d’exportation de produits laitiers. Pour les consommateurs états-uniens, le gruyère est moins une dénomination liée à un lieu qu’une sorte de fromage.

Aux États-Unis, tout le monde s’en fiche. Photo : Shutterstock
Aux États-Unis, tout le monde s’en fiche. Photo : Shutterstock

L’IPG a annoncé qu’elle interjetera appel contre cette décision : le produit états-unien n’a en effet rien en commun avec l’original. En Suisse, seul le lait cru provenant de vaches nourries d'aliments naturels est sélectionné. « Aux États-Unis, on utilise du lait bon marché, c’est donc une tromperie envers le consommateur ! » s’indigne le président de l’IPG dans les colonnes du Blick.

Industrialisation des produits traditionnels

Le manque de respect envers la longue tradition de certains produits n’énerve pas seulement les producteurs suisses : des litiges surviennent aussi fréquemment au sein de l’UE ou justement avec les États-Unis. Budweiser République tchèque et Budweiser États-Unis sont en conflit depuis plus de 100 ans à propos du nom. En Normandie, une véritable guerre a lieu autour de la question du vrai Camembert : peut-il aussi être fabriqué à partir de lait pasteurisé ? Tout comme Emmi avec le gruyère, il s’agissait de gagner beaucoup d’argent aux États-Unis. L’inspection alimentaire états-unienne a interdit l’importation de fromage au lait cru dans les années 50. C'est ainsi que la marque Président est née et a initié l’industrialisation du fromage à pâte molle (Reportagen #60, Marc Zitzmann und Christoph Dorner).

Les États-Unis et d’autres pays comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande ne sont pas facile à convaincre lorsqu'il s'agit d'indications géographiques : non seulement de telles certifications n’existent pas, mais ces pays luttent aussi activement contre une réglementation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, on peut lire les informations suivantes dans une prise de position du Parlement suisse sur une motion de protection des produits AOC aux États-Unis datant d’août 2012 : « En 2005, la Suisse a entamé des discussions exploratoires avec les États-Unis en vue de la conclusion d'un accord de libre-échange avec un volet relatif à la protection de la propriété intellectuelle et notamment des dispositions sur les IG. (NDT : indications géographiques). Ces discussions n'ont pas abouti et les travaux exploratoires ont montré l'inflexibilité totale des États-Unis en matière de protection des IG. D'ailleurs, les États-Unis défendent cette position hostile envers les IG depuis des années sur la scène internationale, tant sur le plan bilatéral qu'au sein de l’OMC. »

La meilleure façon possible de promouvoir le fromage. Photo : Imago
La meilleure façon possible de promouvoir le fromage. Photo : Imago

De 1914 à 1999, l’Union suisse du commerce de fromage s’occupait également de la commercialisation nationale et internationale du gruyère, du sbrinz et de l’emmental. À l'échelle nationale, elle fixait les prix du lait et du fromage à condition que la population dispose de suffisamment de fromage : il s’agissait donc d’un cartel économique. De 1992 à 1999, elle a aussi sponsorisé l’équipe nationale suisse de ski : certains se souviennent probablement encore de la « combinaison emmental ».

Depuis l’intégration d’une nouvelle loi agricole en Suisse, les producteurs de gruyère luttent seuls pour la préservation de l’intégrité de leur nom. Peut-être que les États-Unis vont céder ; peut-être qu’il y aura du faux gruyère pour toujours. Au moins, ce dernier ne terminera pas dans nos fondues.

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Élargir mon horizon: voilà comment je résumerais ma vie en quelques mots. J'aime découvrir de nouvelles choses et en apprendre toujours plus. Je suis constamment à l'affût de nouvelles expériences dans tous les domaines: voyages, lectures, cuisine, cinéma ou encore bricolage. 

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