La folle idée d’un tourne-disque à la sauce guitare Fender
Le logo Fender est maintenant apposé sur un tourne-disque. Quid de l’aspect esthétique ? Il est bon dans l’ensemble. Cependant, Fender vit aujourd’hui avant tout de sa réputation et de sa tradition légendaires. Le fondateur de l’entreprise n’avait cependant pas la même vision des choses.
Fender, la légendaire marque de guitares, et MoFi Electronics, le fabricant de matériel hifi un peu moins légendaire, ont développé conjointement un tourne-disque. C’est en fait une platine MoFi avec un design Fender.
Le dégradé de couleurs s’appelle sunburst et est utilisé sur les guitares et basses Fender depuis des décennies. Le tourne-disque est ainsi fabriqué dans le même bois que de nombreuses guitares : du frêne, qui pousse dans le marais et s’avère particulièrement léger. Ce faible poids n’est certes pas nécessaire avec un tourne-disque, puisqu’il ne s’accroche pas autour du cou, mais il fallait que ce soit aussi ressemblant que possible à une Fender.
En référence à la Fender Precision Bass de 1951, le tourne-disque s’appelle PrecisionDeck. Il coûte 3495 dollars et est fabriqué aux États-Unis. Le nombre de pièces est limité à 1000.
D'une certaine manière, les deux marques vont de pair : le vinyle est rétro, la Fender aussi. Après tout, Leo Fender a inventé la Precision Bass et les guitares Telecaster et Stratocaster dans les années 50. Les modèles Fender les plus chers sont fabriqués aux États-Unis, tout comme le PrecisionDeck.
D’un autre côté, ça ne colle pas. Un tourne-disque n’a pas besoin de ressembler à une guitare ni d’être du même bois. La collaboration peut améliorer l’esthétique du produit, mais l’amélioration qualitative n’existe tout simplement pas.
De plus, ce ne sont pas le sunburst et le swamp ash qui font de Fender une marque légendaire. Pour le comprendre, il convient de se pencher sur l’histoire de l’entreprise.
Il était une fois Leo Fender
Le fondateur de la société, Leo Fender, fabriquait à l’origine des guitares bon marché qui pouvaient être facilement vissées et démontées pour être réparées ; il n’était ni musicien ni facteur d’instruments, mais électricien radio. C’est en se basant sur son expérience dans ce métier qu’il a de construit ses guitares. À l’inverse de Gibson, où la construction d’instruments classiques était pratiquée, Leo Fender a simplement vissé toutes les pièces sur un bloc de bois. Il se fichait sûrement que vous puissiez voir ces vis et ces plaques. Le matériel devait fonctionner, être bon marché et facile à entretenir.
La platine MoFi est l’exacte opposée de l’intention initiale de Leo Fender. Ce tourne-disque constitue quelque part un classique de la facture instrumentale : un bel objet de collection et non pas un objet utilitaire pratique.
De manière pragmatique, Leo Fender a utilisé les éléments à portée de main à l’époque. Par exemple, il a peint ses guitares avec de la peinture pour voiture. C’est la raison pour laquelle les vieilles guitares ont les mêmes couleurs que les voitures états-uniennes de l’époque de Cadillac, Buick & Co.
Leo Fender a utilisé pour le chevalet (endroit où reposent les cordes en bas) les mêmes pièces métalliques pour sa première basse et sa première guitare. Cette technique s’est certes avérée pratique et bon marché, mais loin d’être optimale. En effet, avec la guitare, cela signifie que deux cordes doivent être tendues sur le même support. La longueur de chaque corde ne peut donc pas être réglée individuellement, option pourtant nécessaire pour accorder parfaitement la guitare.
Leo Fender a improvisé. Il a révolutionné la guitare électrique parce qu’il venait d’une branche tierce et possédait donc une perspective différente. Il était ce qu’on appelle aujourd’hui un électron libre.
C’est précisément parce que Leo Fender ne mettait pas l’accent sur l’esthétique que ses guitares avaient un aspect particulier et sont ainsi devenues au fil du temps de véritables légendes.
Mais c’est surtout grâce à leur utilisation par de nombreux musiciens célèbres que ces instruments sont entrés dans la légende. La marque bon marché s’est ainsi ennoblie avec les années, devenant un véritable Graal.
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Les musiciens utilisaient souvent le matériel de Leo Fender d’une manière différente de celle qu’il avait prévue, avec souvent une grande créativité. L’amplificateur Bassman était principalement utilisé comme amplificateur de guitares, ces derniers étant intentionnellement faits pour cisailler. Le câblage des guitares a été modifié pour changer le son. Les guitares étaient accordées plus graves et ainsi de suite.
Les excès du culte rétro
Cette vitalité, cette improvisation créative et cette modification se sont éteintes à un moment donné. Les produits Tender ont subi une transformation au cours des décennies. Aujourd’hui, la marque n’est plus synonyme d’innovation, mais de tradition. Tout devrait être, autant que possible, comme avant.
Les gens veulent le produit d’origine. Ils veulent exactement les guitares avec lesquelles Jimi Hendrix, Eric Clapton, Mark Knopfler ou Keith Richards ont joué, soit par nostalgie, soit pour sonner aussi semblable que possible, ou les deux
C’est la raison pour laquelle Fender, en plus des versions modernisées, construit également des instruments qui sont aussi proches que possible des modèles originaux, au point de conserver les défauts des anciennes guitares. Aujourd’hui encore, les cordiers sont fabriqués avec deux cordes au lieu d’une. Leo Fender a corrigé ce défaut dans toutes les guitares ultérieures. De nombreux fans de Fender veulent néanmoins retrouver le même son que celui de la Telecaster.
La marque vend ainsi de nouvelles guitares avec des corps éraflés sous le nom de « Relic ». Ces dernières semblent déjà avoir 60 ans au compteur à la sortie d’usine. De nombreuses personnes affirment que cette usure améliore le son de la guitare. L’utilisation des anciennes peintures nitro a également pour se rapprocher du son de l’original. L’utilisation de cordiers mal accordés suit la même logique.
Un deuxième exemple de culte du passé : Jimi Hendrix utilisait une Fender Stratocaster pour droitiers, car il n’existait pas de modèles pour gauchers, et devait remonter les cordes à l’envers. Le mécanique, la disposition du micron et des boutons, rien n’était cohérent. Aujourd’hui, Fender vend des guitares avec lesquelles les droitiers peuvent jouer aussi mal que Jimi Hendrix à l’époque. Une guitare pour gauchers ? Hors de question ! Le contrôleur et le connecteur de câble sont adaptés aux droitiers.
Jimi Hendrix lui-même n’était pas satisfait de sa solution de fortune et a obtenu plus tard une guitare pour gaucher de Gibson. Avec cette guitare complètement différente, le son de Jimi Hendrix sonnait - quelle surprise ! - toujours comme du ... Jimi Hendrix.
Le tourne-disque MoFi colle parfaitement avec l’état d’esprit de la société Fender d’aujourd’hui. Ça correspond au culte, à la légende mais pas à l’esprit pionnier et inventif de Leo Fender. Hélas, les utilisateurs modernes de la marque ne correspondent en rien aux artistes créatifs qui utilisaient souvent le matériel avec originalité, contribuant ainsi à rendre Fender légendaire.
Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense.