Le carbone, un rêve bientôt réalité : dans les coulisses de vélos made in Switzerland
En coulisse

Le carbone, un rêve bientôt réalité : dans les coulisses de vélos made in Switzerland

Aujourd’hui, tous les vélos en carbone nous arrivent d’Asie. Tous ? Non. Nostra, petit fabricant suisse, résiste encore et toujours en développant et en produisant des cadres carbone. Partons à la découverte de ce métier unique et ultra-complexe.

Les collines autour d’Einsiedeln sont enveloppées d’une épaisse couche de nuages, il pleut et il fait froid. Au fond du village se trouve un petit bâtiment industriel avec une grande baie vitrée. La lumière brille, des gens font des allers-retours. En entrant dans cette ancienne cantine d’un grand fabricant d’électronique, je me retrouve plongé dans un autre monde : le monde fascinant de l’entreprise Brasch Design Composites.

Les Préalpes dans la brume.
Les Préalpes dans la brume.
Source : Manuel Wenk

Des ébauches de projets en carbone jonchent le sol. Le fondateur Roman Braschler compte parmi ses clients des particuliers aux demandes spécifiques (une cuisine de camping en carbone par exemple), des industriels comme la Fédération suisse de bobsleigh ou des entreprises en quête de bras de robots pour la fabrication de bouteilles en plastique.

Et, depuis peu, les cyclistes ont rejoint les rangs de cette clientèle diverse et variée. Avec l’entreprise Gamux Bikes à Wangen (SZ), en charge de la cinématique, Roman et son équipe ont mis au point un vélo carbone made in Switzerland. « Le vélo rêvé » comme le désignent Roman Braschler et Swen Kälin, employé de longue date et co-développeur.

Roman (à g.) et Swen vérifient une pièce de la structure arrière.
Roman (à g.) et Swen vérifient une pièce de la structure arrière.
Source : Manuel Wenk

« Nous réparons les cadres en carbone de particuliers depuis toujours et avons souvent remarqué la médiocrité de la fabrication. L’idée de faire mieux nous trotte depuis très longtemps dans la tête », déclare Roman. Swen et Roman racontent aussi que la qualité du cadre n’était satisfaisante que chez deux ou trois fabricants de vélos. La production de masse asiatique permet des prix bas, mais au détriment de la qualité. D’innombrables heures de développement plus tard, le vélo carbone suisse était né. Le Nostra DC (pour « Down Country ») présente un débattement de 130 mm à l’avant et à l’arrière. Pour les vélos typés course, le débattement peut être diminué à 120 mm. Ces vélos ne se vendant pas « tout faits », ils ne sont pas disponibles sur notre boutique. En effet, chaque futur propriétaire choisit personnellement les différentes pièces : la fourche à suspension, la transmission, les freins, les jantes, les pneus... Un mécanicien assemble ensuite le cadre carbone et les éléments choisis.

148 pièces en carbone pour un seul vélo

Manon Antener, une collaboratrice, dépose les pièces destinées au triangle avant sur une grande table. Au début, Manon découpait les 148 prepregs à la main, mais un plotter de découpe s’occupe désormais de cette tâche. Elle colle au fur et à mesure les découpes au bon endroit dans le moule en aluminium. Rien que cette étape lui prend une journée entière de travail. « Nous plaçons les fibres dans les moules et comprimons le tout sous vide. Cela permet d’éviter la formation de poches d’air et augmente donc considérablement la longévité du cadre », explique Swen.

Les produits asiatiques de masse suivent eux un procédé peu coûteux. Des noyaux en mousse y sont recouverts de fibres, plusieurs personnes peuvent donc travailler sur un même cadre en parallèle. « Cela permet de gagner du temps et de l’argent, mais ça se fait au détriment de la précision. Résultat, il y a aura des poches d’air et des couches de fibres mal définies », commente Roman. Les cadres irréguliers doivent souvent être retouchés pendant la production.

Tâche auparavant manuelle, la découpe est aujourd’hui réalisée par un plotter.
Tâche auparavant manuelle, la découpe est aujourd’hui réalisée par un plotter.
Source : Manuel Wenk

Une fois que tous les prepregs prédécoupés sont dans le moule en aluminium, on joint et scelle les deux moitiés. L’air est aspiré et le bloc d’aluminium est chauffé à plus de 110 °C (la température précise reste secrète) pour fluidifier la résine et coller les fibres de carbone.

Le processus de durcissement est d’une grande complexité. Roman et son équipe ont fait des dizaines d’essais pour parvenir à un résultat satisfaisant. La température doit être suffisamment chaude pour bien fluidifier la résine et l’air doit être complètement aspiré. Et pour un résultat parfait, les prepregs doivent être positionnés avec précision. L’équipe chauffe le bloc aluminium pour la partie arrière du cadre à l’aide de spirales chauffantes fraisées et la partie avant (triangle avant) à l’aide d’une presse chauffante. C’est la seule façon de répartir la chaleur uniformément sur cette grande pièce. Au bout de trois heures d’exposition à la chaleur, on procède au démoulage tant que le moule en aluminium est encore chaud. Comme le métal se contracte en refroidissant, attendre risquerait d’endommager le cadre carbone. Une fois que tout semble en règle, on perce des trous aux endroits adéquats pour passer les câbles ou pour le porte-bidon, puis on colle les éléments en aluminium et en titane.

Le tout est made in Einsiedeln.
Le tout est made in Einsiedeln.
Source : Manuel Wenk

La structure arrière suit le même procédé, bien qu’il soit un peu plus compliqué d’insérer les pièces en carbone prédécoupées dans les espaces et les passages étroits. Le moule en aluminium arbore une forme alambiquée composée de neuf pièces (contre deux pour le triangle avant) ! Le démoulage est d’autant plus compliqué et chronophage. Le bras oscillant (l’autre nom de la structure arrière) se compose de deux parties, assemblées après durcissement. Le processus exact est tenu secret par Roman et Swen, chaque fabricant ayant sa propre façon de faire. En raison de sa forme compliquée et des passages de câbles, le bras oscillant est une pièce extrêmement complexe dont la fabrication demande plus de temps que celle du triangle avant, plus grand.

La peinture s’effectue aussi en interne et peut être réalisée sur mesure. Swen recommande néanmoins une peinture standard : « La plupart des gens sont perdus devant la quantité infinie de possibilités. Il est plus simple d’opter pour notre peinture standard. » Il faut compter plus de 50 heures de travail pour la mise en place des fibres de carbone dans les moules, le durcissement, la peinture et le montage.

Des vis jusqu’à cinq fois plus chères

Au village d’à côté de Trachslau, une petite entreprise fabrique toutes les pièces métalliques nécessaires. Celles-ci comprennent entre autres la biellette en fraisage 5 axes (levier reliant le cadre à l’amortisseur) en aluminium et les vis en aluminium/titane nécessaires au kit vélo complet. Les douze vis et pièces en aluminium fabriquées localement coûtent environ cinq fois plus que des pièces équivalentes provenant d’Extrême-Orient. « Nous misons sur une création de valeur locale et souhaitons offrir à nos clients un produit fonctionnel qui soit aussi écoresponsable », déclare Roman à ce sujet.

Le cadre complet avec la structure arrière, la biellette et les vis en titane pèse 2200 grammes. Le vélo n’est donc pas le plus léger sur le marché, mais Roman et son équipe ont privilégié la longévité et la robustesse. D’une part, l’objectif est de mieux encaisser les chutes et les coups. D’autre part, cela doit aussi permettre à des cyclistes pros de se confronter à leurs propres limites, sans atteindre celles du matériel.

Afin de maximiser l’efficacité de l’entraînement, l’équipe a cherché à renforcer la torsion (résistance du cadre aux forces de torsion). Des fibres de carbone ultra-résistantes sont utilisées d’un bout à l’autre, de la tête de direction (là où se fixe le guidon) au pédalier (là où se fixent les pédales). « Nous avons apporté un peu plus d’élasticité à d’autres endroits du cadre. Nous obtenons ainsi un mélange de résistance et de rigidité exceptionnel aux endroits soumis aux forces les plus importantes », explique Roman.

Roman détache le bras oscillant du bloc d’aluminium en neuf parties.
Roman détache le bras oscillant du bloc d’aluminium en neuf parties.
Source : Manuel Wenk

« On ne nous croit pas »

« Nous sommes incroyablement fiers de montrer qu’il est possible de rapatrier la production d’Extrême-Orient en Suisse. Certes, c’est plus cher. Mais avec la technologie et l’automatisation, il y a de grandes chances que la production suisse devienne compétitive », affirme Roman. Il n’est pas toujours facile de le faire comprendre aux gens. Souvent, ils sont incrédules et surpris d’apprendre que les vélos sont fabriqués en Suisse. Swen dit qu’il doit montrer des photos de la fabrication aux personnes intéressées pour qu’elles y croient vraiment. « Nous ne sommes tout simplement plus habitués à voir des processus aussi chronophages réalisés en Suisse », ajoute Roman.

C’est dans ce hall de production que les vélos sont fabriqués.
C’est dans ce hall de production que les vélos sont fabriqués.
Source : Manuel Wenk

Des projets d’envergure

L’entreprise ne veut pas se contenter d’une dizaine de cadres carbone fabriqués en Suisse. Si l’on en croit Roman et Swen, ce n’est que le début. Ils ne veulent pas réserver les kits de cadres, affichés à environ 7000 francs, à une petite poignée de privilégiés. Des optimisations continues et l’automatisation de la production devraient permettre de réduire les coûts. « Notre objectif est de permettre à davantage de personnes d’acquérir un vélo en carbone de haute qualité fabriqué en Suisse », souligne Roman. Selon les composants choisis, un vélo coûte entre 12 et 14 000 francs suisses, à peu près autant que pour des vélos onéreux d’autres fabricants. Pour finir, les deux hommes nous révèlent un petit secret : « Nous avons déjà un prochain véhicule plus rapide dans les tuyaux. » Un vélo de course Nostra, également made in Einsiedeln, devrait voir le jour !

Entre-temps, la météo s’est améliorée à Einsiedeln, le soleil chasse peu à peu les nuages. Roman, Swen et Manon, tous fans de vélo, veulent encore faire un tour ce soir. En Nostra, bien évidemment.

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Photo d’en-tête : Manuel Wenk

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En tant que blogueur vidéo et producteur multimédia préparer le contenu sur différents médias et de toujours être à la pointe de la technologie va de soi. Chez digitec, cela se fait souvent sous forme de vidéo. Quand de nouveaux appareils photo, drones ou smartphones paressent sur le marché, je n’ai qu’une seule envie: les tester. Heureusement que je travaille à la source! Côté loisirs j’aime me retrouver à la montagne, que ce soit pour faire du ski, du vélo ou de la randonnée. 


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