En coulisse

Le Game Pass modifie le paysage du jeu vidéo

Le Game Pass propose une offre prétendument imbattable pour les joueurs et les développeurs. Il ne faut toutefois pas sous-estimer l'impact que ces modèles d'abonnement ont sur le secteur.

« La monétisation a une très forte influence sur ce qui est développé et comment pour un jeu. » Daniel Lutz en est convaincu. L'ancien Creative Director de Square Enix Montréal n'est pas le seul de cet avis. J'ai en effet parlé à plusieurs développeurs et, malgré le caractère lucratif des services d'abonnement comme le Game Pass, les conséquences à long terme pour l’industrie créent un malaise.

La sécurité de l'emploi prime sur l’argent

Game Pass, PS Plus, EA Play et désormais Netflix ne sont que quelques-uns des services qui proposent des jeux par abonnement. Un abonnement mensuel vous donne accès à une pléthore de jeux. Tantôt des titres assez anciens comme dans PS Plus, tantôt des titres très récents comme dans le Game Pass, ou encore des titres mobiles premium comme dans l’abonnement Netflix. Les accords avec les studios de jeu sont généralement tous assez similaires : « Ils vous paient un montant fixe qui, pour les jeux indépendants, compte généralement cinq à six chiffres. En échange, votre jeu est disponible en exclusivité pour six à douze mois sur la plateforme », m'explique Lea*, une développeuse dont le jeu sera bientôt disponible avec le Game Pass. Comme un autre collègue dont le jeu est déjà disponible sur la plateforme de Microsoft, elle préfère rester anonyme. En règle générale, on ne peut pas faire de commentaire public sur les détails d’un contrat. D'autres, comme Giants, créateur de Farming Simulator, préfèrent ne pas faire de commentaire sur le sujet pour le moment. Il s’agirait en premier lieu de gagner en expérience, nous répond-on.

Le Game Pass a déjà beaucoup changé le paysage vidéo ludique.
Le Game Pass a déjà beaucoup changé le paysage vidéo ludique.

Il semblerait donc que l'on ne s'enrichisse pas avec un contrat Game Pass. En revanche, on a la sécurité de l’emploi. Et les chances que le jeu rencontre un succès surprise sont de toute façon minimes avec la masse de nouveaux jeux qui sortent constamment. « Tout cela est ambivalent. L'accord nous donne de la visibilité, mais en contrepartie, il cannibalise les ventes sur Steam, » explique Patrick*, développeur indépendant. On parle d’une perte de revenus de cinq à dix pour cent pour cent pour la plateforme de valve. Steam est et reste l'une des principales sources de revenus, notamment pour les indépendants.

Par ailleurs, il existe bien entendu des studios internes qui développent des jeux pour ces services. Le Game Pass comprend tous les jeux des studios Microsoft comme Bethesda, Obsidian, 343 Industries et Rare. Netflix a également fait de bonnes acquisitions avec Boss Fight, Night School et Next Games. Ces studios n’ont plus à se soucier de la distribution. En revanche, ils seront probablement les premiers à ressentir les changements que les abonnements entraînent sur le développement des jeux.

L'abonnement à Netflix inclut désormais des jeux.
L'abonnement à Netflix inclut désormais des jeux.

Les jeux vont changer

« Les modèles d'abonnement auront un impact énorme sur la manière dont les studios de jeux se développent, » prédit le PDG de Spry Fox, David Edery. Son studio est à l’origine de la série Alphabear, un jeu de style Scrabble et a déjà fait l’expérience d’Apple Arcade avec Cozy Grove. Il a fait part de ses craintes à Simon Carless dans la newsletter GameDiscover. « Les services d'abonnement veulent que les jeux populaires reçoivent des mises à jour pour toujours. C’es pour cela qu’ils paient. » David se demande comment Valve et Epic vont réagir. Avec Steam, Valve possède la plus grande plateforme de jeux ; quant à Epic, elle possède l'une des marques de jeux les plus populaires avec Fortnite. « Je suis curieux de voir combien de temps Valve pourra maintenir des jeux premium. » Mais cela n’a pas changé du jour au lendemain. « Il a fallu l'arrivée de services comme Disney+ et la pandémie pour me convaincre de prendre plusieurs abonnements. » Il estime donc qu'il faudra dix à quinze ans pour que de grands changements se fassent sentir dans toute l’industrie gaming.

Steam propose encore plein de titres premium, mais pour combien de temps encore ?
Steam propose encore plein de titres premium, mais pour combien de temps encore ?

Là encore, cela peut aller plus vite, comme le montre l'exemple d’Apple Arcade. « Au début, le service voulait de mignons petits jeux racontant une histoire. Et finalement bam, changement de direction et tout à coup, les jeux doivent afficher un bon taux de rétention, » ajoute Lea*. Patrick* ajoute : « Pour des histoires linéaires sans valeur de rejouabilité, ce serait un cauchemar. » Dans le domaine du jeu mobile, ce changement a eu lieu depuis longtemps. Le modèle free to play s'y est complètement imposé et a fondamentalement modifié les jeux. « Tout vise à accrocher les joueurs dès la première seconde, » estime Daniel, qui développe désormais un jeu pour son propre compte. Il y a trop de risques qu’un joueur arrête de jouer.

Ce qui n'est pas clair, c'est ce qu'il adviendra des titres « Game as a service » (GaaS) comme Destiny ou Ark. Leur modèle économique consiste à publier au fil des ans de nouvelles mises à jour payantes avec de nouveaux contenus. Ils bénéficient également de leur présence dans le Game Pass : « De nombreux GaaS proposent leur jeu de base dans le Game Pass. Cela leur donne un tas de nouveaux joueurs qui dépensent de l'argent pour des mises à jour, des DLC, etc. », explique Simon de la newsletter GameDiscover. David de Spry Fox peut imaginer que les GaaS se rapprocheront des free to play : « La pression sur le prix du jeu de base augmente, les mises à jour qui étaient gratuites deviennent payantes ou les contenus populaires ne sont disponibles que contre de l’argent. »

L'avenir des titres « Game as a service » comme Destiny 2 est incertain.
L'avenir des titres « Game as a service » comme Destiny 2 est incertain.

Sony maintient son modèle premium

C'est Sony qui résiste le mieux. Certes, l'entreprise propose depuis peu un modèle d'abonnement PS Plus élargi. En même temps, ils ne se lassent pas de souligner que, malgré le renforcement dans le domaine GaaS, ils continueront à miser sur les grands titres solo. Ils ne croient pas au modèle du Game Pass avec de nouveaux titres directement au lancement. Vous pouvez donc chercher un moment les grands titres, même dans l'abonnement PS Plus Premium le plus cher, vous ne les y trouverez pas. « Les investissements que nous devrions faire dans nos studios ne seraient pas possibles et nous pensons que l'impact sur la qualité des jeux, ne serait pas souhaitée par les joueurs, » explique le PDG de Playstation Jim Ryan dans un entretien avec Gamesindustry.biz.

L'avenir dira combien de temps Sony s'en tiendra à cette stratégie ou si le modèle Game Pass est inéluctable. Il est clair que Microsoft va bientôt serrer la vis sur les prix, car du point de vue du client, l'offre est presque trop bonne pour être vraie. Et une fois l’utilisateur abonné, il ne résilie pas si facilement. Netflix et autres l'ont montré depuis longtemps. Alors profitons de cette phase de lune de miel tant qu'elle dure

  • les noms ont été changés.

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En tant que fou de jeu et de gadgets, je suis dans mon élément chez digitec et Galaxus. Quand je ne suis pas comme Tim Taylor à bidouiller mon PC ou en train de parler de jeux dans mon Podcast http://www.onemorelevel.ch, j’aime bien me poser sur mon biclou et trouver quelques bons trails. Je comble mes besoins culturels avec une petite mousse et des conversations profondes lors des matchs souvent très frustrants du FC Winterthour. 

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