En coulisse

Les rencontres à l’ère de l’intelligence artificielle

2/9/2024

Traduction : Martin Grande

Dans beaucoup de domaines, l’intelligence artificielle constitue un petit plus bien pratique. Est-ce aussi le cas pour les relations amoureuses ? La sexothérapeute Dania Schiftan nous parle des opportunités et des dangers de l’IA dans les applis de rencontres.

Selon toi, l’intelligence artificielle a conquis les plateformes de rencontres. À quelles fins l’IA est-elle employée par les internautes ?
Dania Schiftan, sexothérapeute et psychothérapeute : On utilise l’IA de diverses façons sur les plateformes de rencontre. De prime abord, elle permet de trouver des matchs selon les critères que tu lui fournis. Ensuite, des applis comme Photo.Ai peuvent optimiser ta photo de profil. Tu peux utiliser des programmes comme ChatGPT pour montrer des informations à ton sujet de façon originale ou trouver des questions pour briser la glace plus facilement. On pourrait presque considérer l’IA comme un coach de séduction. Les applis comme Mila Dating ou CupidBot s’adressent principalement aux hommes et les aident à converser en émulant le style d’expression de leurs matchs.

Cette méthode permet-elle de construire des relations sérieuses ? À première vue, c’est un peu comme si on trichait sur son apparence.
Si j’utilise ChatGPT comme interlocuteur pour m’entraîner à mieux communiquer, ce n’est pas forcément de la triche. À ce compte-là, il faudrait aussi considérer un cours de flirt ou même de rhétorique comme de la triche. On peut très bien voir cela comme une forme de développement personnel.

Et si je m’en remets à l’IA pour l’intégralité de la conversation ?
Si je réponds à toutes les questions de mon date potentiel avec l’IA, le résultat manquera d’authenticité et de fiabilité. Cela étant dit, tout dépend de la capacité de l’IA de m’imiter.

Comment ça ?
Si j’arrive à bien doser quand laisser l’IA gérer et quand reprendre la main, il n’est pas exclu qu’une relation fonctionnelle en résulte, comme dans le cas d’Aleksandr Zhadan (en anglais). L’informaticien moscovite est devenu célèbre pour avoir créé un programme qui lui a permis de converser avec 5000 femmes simultanément et de fixer un premier rencard avec chacune d’entre elles.

Comment a-t-il fait ?
Le programme faisait office de ghostwriter et d’assistant personnel en même temps. Il a contacté des femmes qui correspondaient aux goûts de M. Zhadan et leur a écrit dans son style d’écriture jusqu’à fixer une date de première rencontre. Le logiciel inscrivait automatiquement les rendez-vous dans le calendrier de M. Zhadan. Il a donné suite à des entrevues avec une centaine de femmes. Aujourd’hui, il est marié avec une d’entre elles.

Tout est bien qui finit bien, alors, mais je trouve la méthode un peu douteuse.
En effet, ce n’est pas très raffiné. On peut se demander comment on se sentirait si quelqu’un nous prenait pour cible et agissait de la sorte avec nous. Ce n’est probablement pas très agréable. La question est donc de savoir si l’on peut pardonner ou tout simplement accepter cette approche.

Je comprends qu’il y ait des avantages, notamment en termes d’efficacité. Quels sont les inconvénients à prendre en considération ?
Une myriade d’internautes perdent du temps en utilisant les applis censées en faire gagner. Une rédactrice du magazine allemand Glamour a voulu tester si l’IA pouvait l’aider à créer un profil Tinder et à améliorer sa photo. Le résultat est dégrisant. Elle est rapidement arrivée à la conclusion qu’elle aurait pu créer un meilleur profil en moins de temps si elle avait rédigé le texte de première main. Seule la photo de profil améliorée présentait une réelle plus-value. Toutefois, il faut noter que les applis peuvent apprendre et seraient probablement meilleures la fois suivante.

Finalement, rien de bien méchant. En temps qu’utilisatrice d’applis de rencontres, est-ce que je devrais me méfier particulièrement de certains aspects de l’IA ?

Absolument. L’IA est un outil idéal pour les psychopathes, les personnes malintentionnées et les « pick up artists », ces hommes qui cherchent à draguer les jolies jeunes femmes et à les manipuler pour coucher avec elles. Pour eux, c’est une forme d’art. Ils mettent en œuvre des méthodes douteuses, mais qui malheureusement fonctionnent souvent.

Dans quelle mesure l’utilisation de l’IA altère-t-elle la confiance dont on doit faire preuve pour tenter sa chance dans le monde des rencontres en ligne ?
Si l’intelligence artificielle s’impose comme la norme dans les applis de rencontre, il est possible que la confiance des internautes s’érode avec le temps. Si l’on ne peut pas être sûr qu’une autre vraie personne est « au bout du fil » et que sa photo de profil est réelle, on ne peut pas savoir ce qui nous attend le jour du premier rendez-vous en personne. Dans l’équation où l’on ne sait jamais, mais qu’il est de plus en plus facile de faire semblant, le résultat est une méfiance accrue.

Ne pas savoir qui est de l’autre côté est aussi un problème bien connu avec les profils de chatbots. Quelle est la différence dans le cas des programmes conçus pour tenir des conversations ?
Avec les bots de conversation, aucun humain ne joue les intermédiaires. On discute directement avec un robot. Ils sont également présents sur les applis de rencontres. Notamment s’il y a trop peu de profils féminins, comme expliqué dans un article en allemand.

En tant qu’utilisatrice des applis, puis-je déceler si c’est un humain ou un robot qui m’écrit ?
Cela dépend de beaucoup de facteurs. Les personnes très jeunes, adolescentes ou enfants, sont crédules. C’est un vrai problème. Un adulte qui s’y connait un peu en intelligence artificielle et en expression française n’aura pas trop de difficultés à reconnaître un fake en analysant la logique de ses réponses. Par contre, les programmes continuent de s’améliorer à l’abri des regards, ce qui les rend de plus en plus difficiles à démasquer.

Concrètement, quels sont les éléments auxquels je dois faire attention pour voir si mon interlocuteur est assisté par l’IA ?
Un temps de réaction particulièrement court. Une réponse plutôt impersonnelle ou des formulations répétitives. Un autre indice est le style d’expression qui change soudainement lors d’un échange. Il est possible que l’une de vos questions désarçonne l’IA et qu’elle oblige votre destinataire à répondre en personne. Cela peut partir d’un sujet banal, mais que l’IA ne saura pas traiter. Comme par exemple : « Tu préfères les caïpirinhas ou les mojitos ? »

Quels seraient tes conseils pour utiliser l’IA de façon raisonnable ?
Je te conseille de rester authentique dans ce que tu écris et dans tes photos. Du moment que la personne que tu présentes correspond à la réalité, il n’y a pas de mal à demander de l’aide à ChatGPT pour rédiger ta description. S’il s’agit de faire croire à des mensonges, cela devient problématique.

Dania Schiftan travaille dans son cabinet zurichois en tant que sexothérapeute et psychothérapeute. En tant qu’autrice, elle a écrit deux livres sur le sexe et l’orgasme féminin, dont un best-seller aux éditions Spiegel. Mme Schiftan est régulièrement invitée par des quotidiens et des radios suisses. Avec son podcast « Release », elle touche plus de 50 000 personnes par mois et se classe régulièrement dans les chartes iTunes et Spotify. Elle fait des conférences, anime des ateliers et travaille comme psychologue chez Parship. Pour en savoir plus sur elle et son travail, vous pouvez lire son interview :

Dania Schiftan, sexothérapeute
Source : Mirjam Kluka

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Tout sur la sexualité
par Natalie Hemengül

Photo d’en-tête : cottonbro studio via Pexels

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Natalie Hemengül

Senior Editor

Natalie.Hemenguel@digitecgalaxus.ch

En tant que fan de Disney je vois toujours la vie en rose, je vénère les séries des années 90 et les sirènes font partie de ma religion. Quand je ne danse pas sous une pluie de paillettes, on me trouve à des soirées pyjama ou devant ma coiffeuse. PS Le lard est un de mes aliments favoris.

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