Meta menace de retirer Facebook et Instagram de l’Union européenne
En coulisse

Meta menace de retirer Facebook et Instagram de l’Union européenne

Meta menace l’UE. Si la protection des données devait être encore renforcée, le groupe ne serait plus en mesure de maintenir ses activités en Europe. Mais finalement, tout cela ressemble fort à une simple menace en l’air.

Les gros titres et les articles de ces derniers jours donnaient dans le sensationnel : « Meta menace de débrancher Facebook et Instagram en Europe », écrit la RTS. 20min.ch se montre en revanche plus prudent avec son titre « Meta : Mark Zuckerberg menace-t-il vraiment de fermer Facebook et Instagram en Europe ? Prudence ».

Depuis ces gros titres, Meta a fait marche arrière. En effet, le groupe anciennement connu sous le nom de Facebook a fait savoir qu’aucun retrait n’était prévu dans un communiqué de presse.

Il serait naïf de penser que Meta a écrit qu’il ne « pourrait plus mettre à disposition ses services comme Facebook et Instagram » dans son rapport annuel par erreur. Un groupe comme Meta, avec un pouvoir économique incroyable, ne fait pas d'erreurs du type « Oups, ce n’est pas ce que je voulais dire ». La menace, qui n'est peut-être qu'un pronostic, est claire, même si elle est latente. Les mots sont bien sûr soigneusement choisis pour que Meta puisse se sortir facilement de la situation avec un simple communiqué de presse comme celui ci-dessus, tout en ayant fait les gros titres avant.

Analyse d’une stratégie marketing bien rodée.

De quoi menace Meta exactement ?

Meta, la société mère de Facebook, ne profère pas de telles menaces à la légère. La menace peut être comprise comme telle, ou comme la constatation d'un fait. C’est exactement ce que cherchait Meta, c’est une stratégie pour faire parler du groupe. Le texte du rapport annuel 2021 de Meta :

If a new transatlantic datatransfer framework is not adopted and we are unable to continue to rely on SCCs or rely upon other alternative means of data transfers from Europe to the UnitedStates, we will likely be unable to offer a number of our most significant products and services, including Facebook and Instagram, in Europe, which would materially and adversely affect our business, financial condition, and results of operations.
Rapport annuel 2021 de Meta, page 9

En français :

Si aucune nouvelle directive transatlantique sur le transfert des données n’est adoptée et que nous ne pouvons plus appliquer les clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou d’autres moyens de transférer des données de l’Europe vers les États-Unis, nous nous verrons certainement dans l’impossibilité de continuer à proposer nos produits et services principaux, notamment Facebook et Instagram, en Europe. Cela affecterait grandement l’entreprise et affaiblirait nos finances et nos résultats commerciaux.
Rapport annuel 2021 de Meta, page 9

Cela paraît bien compliqué, mais ça ne l’est pas. En substance, il y est dit que le retrait de l'Europe est un dernier recours. Avant que Meta ne prenne cette mesure drastique, l’ensemble des déclarations suivantes doivent s’appliquer :

  • pas de nouvelle directive sur le transfert de données – une construction économique et/ou politique – pour le transfert de données de part et d'autre de l'Atlantique. La question principale est de savoir qui peut transférer quelles données, sous quelles conditions, dans quel but et d’où à où. Les câbles sous-marins ne sont pas le problème.
  • Les clauses contractuelles types de l'UE ne sont actuellement pas compatibles avec Metas Business et ne le deviendront pas.
  • Il n'existe pas d'alternative légale au transfert de données de part et d'autre de l'Atlantique.

Bien que ces trois choses sont vraies, cela ne signifie pas qu’un retrait va être décidé. Meta pourrait traiter les données en Europe. Ces menaces sont donc bien des menaces en l’air, Meta ne veut pas quitter l’Europe.

Pourquoi Meta veut-elle rester en Europe ?

Meta veut absolument s'accrocher au marché européen. Pourquoi ? L'argent. Au cours de l'exercice 2021, Meta a généré 28 573 000 000 de dollars (28 milliards de dollars pour ceux qui n’ont pas envie de compter les zéros) en Europe, selon le Earnings Report Q4/2021 (page 2). Cela correspond à 26 372 736 135 de francs. L'Europe est ainsi le deuxième plus grand marché de Meta.

Si Meta se retirait d'Europe, le groupe perdrait 24,68 % de ses recettes totales.

Meta préfère probablement ne pas faire une croix sur des montants pareils. Les événements récents montrent que la valeur des actions Meta est bien plus volatile qu'on ne le pensait jusqu'à présent. Début février 2022, les actions du groupe ont perdu plus de 26 % de leur valeur en une journée. Les pertes se chiffrent à 230 millions de dollars. Il s'agit de la plus grande perte de valeur en une journée de l'histoire de la bourse. Pourquoi ? Une action devait coûter 3,84 USD fin 2021. À la fin de l'année, la valeur était de 3,67 USD, soit 17 centimes de moins que la valeur attendue par les investisseurs. De plus, pour la première fois dans l'histoire de l'entreprise, Meta a annoncé un nombre d’utilisateurs en baisse. Ce nombre continue cependant d’augmenter pour Instagram et WhatsApp.

De plus, avec sa fonctionnalité « Do Not Track », Apple a privé Facebook d’une importante source de revenus. Depuis iOS 14.5, les utilisateurs ont le choix lorsqu'ils ouvrent une application pour la première fois : l'application peut-elle collecter, enregistrer et revendre les données ? Meta impute la perte de 10 milliards de dollars à Apple.

Qui s'oppose à Facebook ?

Le modèle économique de Facebook repose, entre autres, sur :

  • la vente d’espace publicitaire,
  • la collecte et la vente de données sur les utilisateurs,
  • les microtransactions opérées sur les plateformes.

Les revenus provenant du traitement des données utilisateurs a été sérieusement amputée et a coûté 10 milliards de dollars à l'entreprise. Après Apple, l'UE pourrait également mettre des bâtons dans les roues de Meta.

Nous sommes également soumis à des lois et réglementations en constante évolution qui dictent si, comment et dans quelles circonstances nous pouvons transmettre, traiter ou recevoir des données, y compris les données que nous échangeons entre pays et régions. Cela concerne également l’interdiction ou non de transmettre ou partager des données sur nos produits et services.
Rapport annuel 2021 de Meta, page 9

Meta cite le Privacy Shield comme exemple d'une telle loi ou d'un tel règlement. Entre 2016 et 2020, cet accord règlementait l'échange de données de part et d'autre de l'Atlantique avant d’être invalidé par la Cour de justice européenne le 16 juin 2020. La raison invoquée par la haute instance européenne est que le Privacy Shield ne protège pas suffisamment les données provenant d'Europe.

Un nouvel accord remplacera le Privacy Shield, mais rien n’a encore été décidé. Facebook craint que cet accord ne réglemente ou ne limite davantage les échanges de données au sein du groupe Meta.

Dans ce contexte, d'autres accords ont également été mis en avant. Les clauses contractuelles types (CCT) font actuellement l'objet d'un examen minutieux par le législateur. Meta a reçu une première version du projet de la Commission irlandaise de protection des données (IDPC) en août 2020. Il y est dit que les CCT n'offrent pas une protection suffisante des données à caractère personnel des Européens. Dans le cas extrême, le nouvel accord pourrait interdire tout transfert de données entre l’Europe et les États-Unis au sein du groupe Meta.

Que peut faire Meta ?

Le groupe ne peut pas faire grand-chose. En effet, Meta n’est pas directement impliqué dans le processus législatif, mais il ne peut pour autant pas se contenter d’attendre et croiser les doigts pour que les nouvelles réglementations soient plus favorables au groupe américain. Meta a 25 lobbyistes actifs dans l’Union européenne, dont des personnes comme Hans Hoefnagels et Lara Levet, accréditées au Parlement européen. Leur travail consiste à influencer les politiques et leurs décisions à l’avantage de Meta.

Finalement, la seule question qui se pose à Meta est de savoir si les activités du groupe resteront rentables en Europe. Ou s'il est possible de maintenir l'entreprise dans sa forme actuelle. Si ce n'est pas le cas, ce qui est toutefois extrêmement improbable, Meta pourrait se retirer complètement du marché européen ou proposer une solution analogue à TikTok.

Deux versions de la plateforme de publication de courtes vidéos existent effectivement en parallèle : Douyin pour le marché chinois et TikTok de l’autre côté du Grand Pare-feu de Chine. Les utilisatrices et utilisateurs de Douyin n'ont pas accès au contenu TikTok dans l'application smartphone. De même que les utilisatrices et utilisateurs de TikTok ne voient pas les contenus Douyin. Dans la version pour navigateur, il reste toutefois possible d'accéder aux deux pages en tapant l’URL.

Au lobbying et à une séparation très peu probable s'ajoutent bien sûr les relations publiques. Lorsque Meta menace de se retirer d'Europe, cela fait les gros titres. Le « Si X facteurs ne s'appliquent pas, c'est une chose que nous pourrions envisager » se transforme en une annonce choc agrémentée d’un point d'exclamation.

Meta en est parfaitement conscient

et lorsque, quelques jours plus tard, le communiqué de presse rassurant tombe, rares sont ceux qui s’y intéressent. Même si les médias contre-balancent leurs propos, l'information choc d'il y a quelques jours reste dans la tête des lecteurs.

La fin d'un coup de pub et la nouvelle campagne

Meta a mis fin à la rumeur, pour le moment du moins. Bien entendu, le travail du groupe américain n'est pas encore terminé, il n’en est qu’à ses débuts. Après la fin de l’accord Privacy Shield, un nouvel accord doit être trouvé et Meta se battra pour qu’il lui soit le plus favorable possible jusqu’à ce qu’il soit signé et acté.

Le même communiqué de presse précise d’ailleurs déjà la stratégie du groupe :

  • Meta ne voulait pas engendrer d’information choc. Selon le groupe, il est du devoir de toute entreprise cotée en bourse d'informer les investisseurs des risques potentiels.
  • Meta n'est pas le seul groupe à avoir besoin de transférer des données outre-Atlantique pour son activité principale.
  • Meta n'a « absolument aucun désir » de se retirer d'Europe.
  • Meta n'est pas seul dans la lutte pour une réglementation du transfert de données de part et d'autre de l'Atlantique qui soit favorable aux entreprises. Plus de 70 autres entreprises, dont certaines européennes, se prononcent en faveur d'une telle réglementation.
  • Les transferts de données internationaux sont au coeur de la mondialisation.

Jusqu’ici, tout va bien. Mais à la fin, Meta ne peut pas s'empêcher de lâcher une dernière menace. Là encore, il serait naïf de croire que Meta n’a pas tout calculé.

Comme d'autres entreprises internationales et européennes... nous espérons que les négociations en cours pour remplacer le Privacy Shield afin de protéger les transferts de données transatlantiques apporteront une protection robuste de la vie privée et que les communautés mondiales, l'économie, les entreprises et les familles resteront connectées.
Communiqué de presse de Meta, 8 février 2022

Bien joué, Meta, bien joué..

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Journaliste. Auteur. Hackers. Je suis un conteur d'histoires à la recherche de limites, de secrets et de tabous. Je documente le monde noir sur blanc. Non pas parce que je peux, mais parce que je ne peux pas m'en empêcher.


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