Pas d'enfant par amour de l'environnement
1/9/2022
Traduction: Stéphanie Casada
Il existe différentes manières de minimiser son empreinte carbone. L'une des plus radicales est sans doute de renoncer à sa progéniture. C'est le cas de Marc Fehr (35 ans), qui s'est fait stériliser il y a deux ans. Comme si cela ne suffisait pas, il a écrit un grand article à ce sujet. Je voulais savoir s'il regrettait – aussi bien la vasectomie que l'article.
En 2019, la musicienne britannique Blythe Pepino a lancé le mouvement Birthstrike. Ce mouvement, qui consiste à ne pas se reproduire pour le bien de l'environnement, trouve également de plus en plus d'adeptes dans notre pays ; des jeunes qui pensent et agissent comme Pepino.
La musicienne s'appuie sur des études comme celle de l'université suédoise de Lund, publiée en 2017. Des chercheurs se sont penchés sur la question de savoir quel est le moyen le plus efficace de réduire ses émissions de CO₂. La réponse ? Une alimentation à base de plantes permet d'économiser environ 0,8 tonne d'équivalent CO₂ par an, chaque vol transatlantique évité, 1,6 tonne, et même 2,4 tonnes pour une année sans voiture. Mais l'influence de loin la plus importante serait le fait de renoncer à avoir son propre enfant. Selon l'étude, chaque enfant en moins permettrait d'économiser 58,6 tonnes d'équivalents CO₂ par an.
Faut-il donc pour autant renoncer à devenir parent ? Le journaliste et développeur Web Marc Fehr pense que « oui » et, il y a deux ans, a publié ses motivations dans un grand article d'opinion paru dans le Tagesanzeiger. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Près de 400 commentaires – principalement des critiques – en ont résulté.
J'ai pris rendez-vous pour un appel vidéo avec cet homme de 35 ans. Marc Fehr vit depuis 2017 à Muizenberg, à 30 kilomètres au sud du Cap. Il travaille comme développeur Web pour la newsroom à but non lucratif The New Humanitarian. Alors qu'il fait près de 30 degrés chez nous en Suisse, Marc est assis bien au frais, dans son salon. Au Cap, il fait dix degrés et il pleut des cordes.
Marc, il y a deux ans, tu t'es fait stériliser. As-tu eu des regrets depuis ?
Marc Fehr : Non, aucun. J'étais et je suis toujours convaincu que c'était la meilleure des décisions à prendre pour moi. Juste avant l'intervention, j'ai bizarrement encore eu quelques doutes.
Et pourquoi ?
Ma compagne a dû subir une ablation de l'utérus à cause d'une tumeur (heureusement bénigne). On ne lui a pas laissé le choix, elle l'a appris après l'opération. Donc, je n'ai, à proprement parler, aucun risque de fonder une famille avec elle. Mais c'est justement parce que je suis si fermement convaincu que je ne veux pas d'enfant – quelle que soit la femme – que j'ai quand même décidé de faire ce pas.
Tu as justifié ta vasectomie dans un article par le fait que tu voulais minimiser ton empreinte carbone. As-tu été surpris par le grand écho que tu as suscité avec ton article ?
Je savais que mon partage d'opinion allait faire parler de lui, car le fait qu'il y ait des personnes comme moi qui ne veulent tout simplement pas d'enfant est malheureusement encore un sujet tabou. L'idée qu'un couple fonde forcément une famille est encore très répandue. J'ai toutefois un peu été surpris par la violence des réactions et des commentaires.
Quels ont été ces retours ?
En fait, je ne devrais même plus être en vie et je serais déjà mort 1000 fois (rires). De « arrête de respirer » à « heureusement que les gens comme toi ne font pas d'enfant » en passant par « alors, en toute logique, tu devrais te suicider », tout y est passé.
Comment as-tu pris tout ça ?
Bien sûr, c'était dur. Mais en même temps, c'était intéressant de voir comment des personnes – et pas seulement dans mon entourage privé – se sont ouvertes et ont commencé à discuter de ce sujet avec moi. Un exemple frappant a été celui de quelqu'un de ma propre famille qui est devenu père à 18 ans et qui m'a dit qu'il me comprenait très bien. Il y a également eu de nombreux retours positifs avec le message de base suivant : « Enfin quelqu'un qui parle de ce sujet tabou. »
Si tes parents avaient été aussi radicaux, tu ne serais pas là aujourd'hui.
C'est vrai. Et oui, je suis très reconnaissant que mes parents aient choisi de nous avoir, moi, mon frère et ma sœur. Seulement, ce n'est de loin pas le cas de tout le monde. Je pense qu'il y a effectivement des parents qui auraient dû mieux réfléchir avant de savoir s'ils étaient vraiment aptes à avoir et à élever des enfants. Déjà quand j'avais 25 ans, je disais à ma mère que je ne voulais pas d'enfant dans ce monde ; et elle me comprenait.
À l'époque, était-ce à cause du climat ou tout simplement parce que tu ne voulais pas d'enfant ?
Le sentiment instinctif de procréer ne s'est tout simplement jamais manifesté chez moi. Je ne me souviens pas avoir eu ce désir de devenir père un jour. Autrefois, j'étais encore très jeune et je vivais ma vie avec beaucoup plus d'insouciance, le thème du changement climatique ne m'intéressait pas encore. Il faut aussi dire que cette thématique est seulement mise en avant depuis ces dix dernières années.
Quand j'ai lu ton article, j'ai eu l'impression que tu voulais lancer une discussion.
Bien vu. J'ai trouvé discutable que l'on accuse d'égoïsme les personnes qui ne veulent pas d'enfant. Chaque personne a le droit de décider elle-même si elle veut procréer ou non. Or, les personnes qui ne souhaitent pas d'enfant ne sont souvent pas acceptées dans notre société.
Et puis tu as quasiment contre-attaqué.
En quelque sorte. Je pense que ne pas mettre d'enfant au monde n'a rien à voir avec de l'égoïsme. Bien au contraire. C'est ma contribution pour essayer de minimiser mon empreinte carbone.
Mais maintenant, jouons la carte de la franchise. N'est-ce pas simplement parce que tu ne veux pas d'enfant – pour quelque raison que ce soit – et que tu as cherché un argument pour faire passer ton acte comme un sacrifice à la collectivité ?
Eh bien, dans mon article, j'ai malheureusement un peu omis le fait que je ne veux pas d'enfant pour diverses raisons, dont certaines très égoïstes. Que ce soit parce que je ne veux pas me charger de cette responsabilité, parce que je veux profiter de mon temps libre ou parce que je ne voulais plus imposer la contraception à ma partenaire. Et pourtant, l'une des raisons était justement que je voulais apporter ma contribution à un monde respectueux du climat.
En ne faisant pas d'enfant ?
Oui. Car si je fais un enfant, je ne peux pas prédire combien d'enfants il aura. Car pour chaque enfant que j'ai conçu, un nombre inconnu de descendants pourrait voir le jour. Et je serais, en théorie, responsable de leurs émissions. C'est ma responsabilité.
Le mot « responsabilité » sonne bien. Mais n'est-ce pas un peu tiré par les cheveux que de s'attribuer la responsabilité des actions des générations futures ? On ne blâme par exemple pas non plus les grands-parents si leur petit-fils est devenu un meurtrier ! Où placer la limite ?
Le fait est que mes enfants biologiques pourraient respirer, manger, voyager et même, le cas échéant, se reproduire. Cela entraînerait une charge supplémentaire pour l'environnement, dont la cause serait clairement moi et la mère des enfants. Je crois que l'on doit s'attribuer 50 % des émissions de CO₂ de ses enfants, 25 % de ses petits-enfants, 12,5 % de leurs enfants, et ainsi de suite. Je ne veux pas, et c'est ma décision personnelle. Mais encore une fois : en disant cela, je ne veux absolument pas interdire à quiconque d'avoir des enfants. Celui qui ressent ce désir profond en lui et qui s'est penché intensivement sur les conséquences et les alternatives possibles doit bien sûr pouvoir concevoir des enfants.
Cette question est naturellement évidente. Tu renonces aussi à avoir tes propres enfants par souci de l'environnement. Puis-je supposer que tu fais tout ce qui est possible pour réduire ton empreinte carbone ?
Pour être tout à fait honnête, non. En Suisse, j'ai un bus VW, je fais l'aller-retour Afrique du Sud - Suisse une fois par an, je mange de la viande de temps en temps et, avec ma compagne, j'ai deux chiens et deux chats, ce qui n'aide pas non plus à réduire l'empreinte carbone. Mais c'est justement pour cette raison que je voulais renoncer à avoir des enfants, pour ne pas laisser mon empreinte carbone s'accroître, au moins dans ce domaine. Mon influence sur l'environnement doit prendre fin avec ma disparition.
Pour moi, cette attitude, disons incohérente, relativise plutôt ton motif.
La protection de l'environnement est un sujet très complexe. Nombreux sont ceux qui se restreignent, font des concessions pour assurer la survie de l'humanité sur Terre : alimentation à base de plantes, renoncement aux voyages en avion, vélo au lieu de voiture, etc. Il y a tant de facteurs qui contribuent à façonner notre influence sur l'environnement. C'est pourquoi je préfère personnellement parler de « Climate Shadow » plutôt que de « CO₂ Footprint ».
Que veux-tu dire par là ?
Une expérience de réflexion : la personne A mange végane, habite de manière climatiquement neutre, prend le vélo pour se rendre au travail. La personne B mange de la viande, part en vacances en avion chaque année, se chauffe au gaz. À première vue, on se dit que la personne B fait plus de mal à l'environnement. Mais si l'on mentionne que la personne A travaille comme conseiller pour Shell ou comme comptable pour Nestlé, l'ombre climatique de la personne A s'accroît substantiellement. C'est ainsi que je vois mon renoncement à avoir des enfants. Je fais beaucoup de choses « bien » en matière de protection de l'environnement, mais je suis conscient que j'adopte aussi certains comportements qui ne sont pas neutres à 100 % pour le climat. D'où la réponse : c'est compliqué.
Oui, c'est peut-être compliqué. Mais je dois quand même creuser. De toute évidence, l'état de notre planète te tient à cœur. La solution est-elle alors vraiment de ne pas faire d'enfant ? N'est-ce pas un peu trop facile ?
Oui, bien sûr, je suis absolument amoureux de la nature ici sur Terre, nous vivons sur une planète époustouflante et merveilleuse ! Mais si l'homme, en tant qu'espèce, n'est pas capable de préserver son propre environnement, qui vaut la peine d'être vécu, alors nous sommes aussi responsables des conséquences. Fondamentalement, je ne pense pas que la planète se soucie de ce que nous faisons ici, elle nous survivra tous. C'est pourquoi je trouve que des phrases comme « Save Our Planet » sont un peu trompeuses. Si personne n'avait plus d'enfants, ce serait mauvais pour l'humanité, mais pas forcément pour la planète.
Ou formulé différemment : si tu avais porté en toi un désir d'enfant, aurais-tu également opté pour la vasectomie dans l'intérêt de l'environnement ?
Bonne question. Je pense que non. Il est intéressant de noter que, surtout avant la vasectomie, on m'a toujours dit : « Attends un peu, tu finiras par avoir envie d'avoir des enfants et tu le regretteras ». Ce comportement maternant permanent des gens autour de moi a d'ailleurs été l'une des raisons de ma vasectomie.
Mais il se pourrait bien que tu le regrettes un jour ?
Oui, je ne peux pas l'exclure à 100 %. Mais ne pourrait-on pas poser la même question à quelqu'un qui a décidé de concevoir un enfant ? Car la décision d'avoir un enfant biologique est, à mon avis, encore moins réversible que ma vasectomie. Je pense que les parents minimisent souvent le défi et la difficulté que peut représenter le projet « enfant ». Je le vois aussi chez des amis qui communiquent très ouvertement sur l'impact des enfants sur les relations respectives entre les parents. Et si je devais effectivement le regretter un jour, il y aurait toujours la possibilité d'adopter. Ici, en Afrique du Sud, cette pratique est beaucoup plus répandue qu'en Suisse, par exemple. Tout au plus, il serait agréable de partager mes privilèges avec un enfant déjà né.
** Mais on pourrait justement dire à l'inverse qu'une nouvelle vie est l'investissement le plus durable pour l'avenir, car seules les générations à venir pourront sauver la Terre avec des idées innovantes et de nouvelles formes de société.**
Oui, bien sûr ! Une nouvelle vie génère de nouvelles idées et solutions ! C'est pourquoi ma décision ne fonctionne que si suffisamment d'autres personnes assurent la descendance. Ce qui est d'ailleurs le cas, car la population de la Terre ne cesse de croître. Et aussi, la probabilité que mon enfant ait fait du monde un endroit meilleur est à peu près aussi élevée que celle de gagner au loto.
Dernière question : est-ce que tu réécrirais le même article aujourd'hui ?
Oui, sans hésiter. Je pense qu'il est important d'aborder des sujets controversés et des tabous. Mais je veillerais éventuellement à ce que l'argument de l'empreinte carbone n'ait pas autant de poids. Car c'est seulement l'une des nombreuses raisons qui ont motivé ma décision. L'essentiel est que chacun et chacune réfléchisse bien et soigneusement à la question des enfants pour lui-même et ne se sente pas obligé de faire des enfants à cause de la pression des autres ou de la société.
Martin Rupf
Senior Editor
martin.rupf@digitecgalaxus.chDeux fois papa, troisième enfant de la famille, cueilleur de champignons et pêcheur, spectateur hardcore, à moitié danois et champion du monde des gaffes.