Récit tourmenté d’une semaine sans smartphone
18/4/2023
Traduction: Martin Grande
J’ai voulu me passer de mon téléphone portable toute une semaine. Ça n’a pas marché, mais c’était quand même un succès. Voici ce qui s’est vraiment passé.
Je suis en dessous de la moyenne et fière de l’être. En tout cas pour ce qui est du temps passé sur mon smartphone tous les jours. De temps à autre, on me lance un « Wow, comment tu fais ? » accompagné de regards admiratifs. Mais je ne me fais pas trop d’illusions. Au final, cela correspond au temps dont j’ai besoin. Si l’on regarde les choses en face, même ma valeur inférieure à la moyenne représente encore beaucoup de temps de vie passé avec cet appareil. Ce sont tout de même 150 à 180 minutes par jour passées à consulter mes e-mails, mes applis de messagerie, mes jeux, mes photos, YouTube, Insta et autres. La valeur moyenne journalière correspond à environ trois heures. Les jeunes de 18 à 24 ans dépassent largement cette moyenne avec quatre heures d’écran par jour.
Une semaine sans smartphone, c’est possible ?
Cette interrogation me suffit pour me lancer dans une semaine d’essai plus ou moins spontanée, au cours de laquelle je souhaite me passer autant que possible de mon compagnon numérique.
Je m’autorise quelques rares exceptions pour des questions d’organisation. Après tout, pratiquement toute ma planification quotidienne passe par l’appareil. Mis à part cela, mon smartphone est censé se reposer cette semaine. Malheureusement, je me rends vite compte que ce sera plus difficile que prévu.
1er jour : le geste
Quelques secondes seulement après le réveil, il s’agit de réprimer le premier réflexe de saisie du smartphone. Car même si je n’aime pas me l’avouer, le premier regard du matin se porte toujours directement sur l’écran : quoi de neuf ?
Aujourd’hui, mon compagnon de route n’est pas mon téléphone, mais un sentiment étrange et désagréable d’avoir oublié quelque chose. J’espère que ce ne sera pas le cas toute la semaine. L’habitude de consulter mon smartphone régulièrement est bien ancrée. En temps normal, je mets mon téléphone en silencieux pour ne pas être dérangée. Je me demande si ce n’est pas la raison pour laquelle je regarde encore plus souvent l’écran. Admettons. C’est normal, tout va bien.
Ce qui m’intéresse presque plus que le temps d’écran réel, c’est le nombre de fois où je le consulte. Je pour vérifier que tout va bien. Ma moyenne jusqu’à présent varie entre 58 et 92 fois par jour. C’est à peu près le nombre de fois où je n’ai pas réussi à me concentrer dans cette première journée expérimentale. Si je parviens à limiter ce phénomène de manière significative, ce sera déjà bien. Je m’autorise donc à jeter cinq coups d’œil à l’écran par jour. Ma justification est que c’est un besoin pour ne pas énerver complètement mes contacts sociaux d’ici la semaine prochaine.
Le premier jour m’apprend rapidement que je dois physiquement éloigner mon smartphone pour éviter de le prendre en main. J’ai tout le temps envie de regarder l’écran.
En début d’après-midi, je suis résolue et ne cherche plus des yeux ma distraction habituelle. Au moment de retourner dehors, je le laisse à la maison. C’est plus facile que d’essayer de se contrôler en permanence.
C’est finalement le soir que le sentiment de manque regagne un peu de terrain. C’est à ce moment que je passe généralement le plus de temps sur mon smartphone. Répondre aux messages Whatsapp, consulter les médias sociaux, regarder un peu, écouter, lire, jouer... une ou deux heures sont vite passées. Je passe cette soirée sans tous ces passe-temps et je lis un livre à la place, à l’ancienne. Je dois admettre que j’ai distraitement envisagé de limiter mon essai aux heures de travail, afin de pouvoir tout de même passer à la distraction confortable du smartphone après le travail avant de me raviser.
Le réflexe d’attraper son smartphone est plus fort que prévu, même s’il est devenu plus facile en fin de journée. Malgré tous mes efforts, je passe 18 minutes sur mon smartphone et je le consulte 12 fois.
2e jour : le paradoxe
Je n’appréhende pas trop à l’idée de passer la deuxième journée avec le moins d’interruptions possible sur mon smartphone. Tristement, ce sentiment de légèreté matinal ne dure pas aussi longtemps que je l’aurais souhaité.
Je me suis piégée toute seule dans le paradoxe de Wegner, aussi appelé théorie des processus ironiques, phénomène décrit pour la première fois par le psychologue Daniel Wegner. Il désigne la tendance de notre cerveau à faire le contraire de ce que nous voulons éviter. Je veux éviter mon smartphone, mon cerveau pense « smartphone, smartphone, smartphone ». Ainsi, plus nous nous efforçons de ne pas penser à quelque chose, plus cette chose nous préoccupe. Mon deuxième jour d’expérience en est la preuve. Je place volontairement mon smartphone dans une autre pièce en espérant une amélioration.
Je fais quelques recherches et trouve les conseils suivants pour me faciliter la tâche :
- Distraction : j’ai besoin d’une tâche qui exige de la concentration pour que mes pensées cessent de s’égarer.
- Recadrage : je dois adopter une perspective positive pour mes pensées. Ce n’est pas le renoncement qui doit être mis en avant, mais le bénéfice en résultant.
J’ai donc maintenant un fil conducteur qui, je l’espère, facilitera quelque peu les tergiversations mentales des prochains jours.
Mot d’ordre, recadrage. Je suis de bonne humeur, car j’ai gagné du temps, même si on n’est pas encore aux 0 minute imaginées à l’origine. 17 minutes d’écran, consulté 9 fois. Je fais des progrès.
3e jour : le désespoir
J’aimerais écrire que j’ai commencé cette matinée sans le réflexe de jeter un œil à mon smartphone, mais ce serait un mensonge. Au niveau des sensations, les choses n’ont pas beaucoup changé. J’ai besoin d’une bonne distance de sécurité pour ne pas avoir envie de tenir constamment mon compagnon numérique par la main. Pour couronner le tout, je dois régler d’urgence quelques questions d’organisation pour l’école de mon fils pendant la pause déjeuner et cette communication passe exclusivement par Whatsapp. Dans un moment d’inattention, je me surprends à photographier mon chat qui se prélasse pourtant sans aucune originalité sur l’étagère du salon.
Zut de zut ! J’ai complètement explosé mon temps de portable en début d’après-midi et j’en suis déjà à près d’une heure et 16 activations de l’écran. J’ai cédé. J’ai craqué. Je cherche des excuses, j’envisage d’ignorer cette « rechute », mais, frustrée, je dois m’avouer vaincue. Je vais devoir tout recommencer la semaine prochaine. Quoique, atteindre 0 minute coûte que coûte n’était pas non plus l’objectif. Je suis faible et je l’accepte, et je bannis l’appareil diabolique, enfermé à la cave pour le restant de la journée et de la nuit pour passer à autre chose.
Malgré toutes les bonnes résolutions, la première grosse rechute ne s’est pas fait attendre. Tant bien que mal, je m’arme de force et de courage, bien décidée à venir à bout de cette expérience. 53 minutes d’écran, consulté 16 fois.
4e jour : la détermination
Au vu de la journée précédente, mon téléphone portable reste aujourd’hui complètement hors de portée. Même si j’avais l’intention de m’autoriser de brèves trêves pour trouver mon chemin en ville et me faciliter la vie, je préfère rester entièrement à l’écart du séduisant objet.
Les implications de ce jeûne numérique me rattrapent beaucoup plus vite que je ne l’aurais voulu. J’ai rendez-vous avec une amie dans un café où je n’ai jamais mis les pieds. Mauvaise idée quand on ne peut ni consulter son chemin ni prévenir qu’on est en retard. Sans parler du fait que je suis montée dans le train avant d’en ressortir en trombe au moment où j’ai réalisé que je n’avais pas de titre de transport valide sur moi.
Le sentiment d’inquiétude du premier jour revient en force et ma main ne cesse de plonger en vain dans la poche vide de ma veste en cours de route.
J’ai passé 10 minutes à me battre avec le distributeur de billets. Après quelques tours de pâtés de maisons inutiles, j’ai fini par demander à une charmante passante qui m’a gentiment indiqué le chemin du café. Mon amie m’attendait plus ou moins patiemment. Au moins, elle pouvait passer le temps sur son smartphone en attendant. Tout est bien qui finit bien.
La vie sans smartphone est possible, mais bien plus compliquée. C’était aussi fatigant, les années 90 sans smartphones ? 0 minute d’écran, consulté 0 fois.
5e jour : l’allégresse
Mon smartphone est complètement éteint depuis environ 30 heures. Assez longtemps pour relancer mon anxiété. Et s’il y avait une urgence, et si quelqu’un devait absolument me joindre ? Peut-être ai-je raté quelque chose. J’en suis ébranlée. Je ne m’attendais pas à cela. Que ce soit énervant sans smartphone, bien sûr, mais que j’y sois autant attachée, ça m’étonne quand même.
Je le rallume et concrétise ce jour-là enfin mon souhait initial. Le smartphone reste dans un coin sans que je m’en aperçoive, je n’ai pas constamment envie de l’attraper et je ne consulte que brièvement mes messages le soir pour me rassurer. Résultat, je n’ai rien raté de toute la journée et j’ai même gagné un peu de temps. Il faut dire qu’aujourd’hui, je n’ai pas eu à me mettre d’accord avec quelqu’un à la dernière minute ni à trouver un nouvel endroit.
C’est donc possible ! Après quelques difficultés au démarrage, je suis aujourd’hui très satisfaite de mon comportement, avec 16 minutes d’écran, consulté 1 fois.
6e et 7e jours : l’hypothèse téléphone fixe, appareil photo, montre, agenda
« C’est bientôt fini », me dis-je inlassablement pendant le weekend. Certes, j’étais occupée pendant les deux jours, si bien que les distractions m’ont aidée à oublier le smartphone, parfois des heures durant. Mais l’adversité s’est tout de même fait ressentir à plusieurs reprises. Je ressors ma vieille montre pour ne pas énerver d’autres amis en arrivant en retard. Je me demande si cela vaudrait la peine d’équiper le téléphone fixe, orphelin depuis des mois, de nouvelles batteries. Je regrette un peu les clichés que je n’ai pas pris et je finis par fouiller la cave à la recherche de mon vieil appareil photo numérique.
Dimanche soir, pour clore ma semaine d’essais, je finis de lire le roman que j’avais commencé en début de semaine pour occuper le temps libre habituellement consacré aux médias sociaux et aux jeux sur téléphone portable.
Un weekend détendu (presque) sans interruptions numériques. 21 minutes d’écran, consulté 6 fois.
Conclusion : il n’est pas nécessaire de se passer complètement de smartphone
Ce qui m’a étonnée et, je l’avoue, un peu effrayée lors de ma tentative, c’est la difficulté que j’ai eue à ne pas jeter de coups d’œil rapides à mon smartphone. Il a été beaucoup plus facile de limiter le temps passé sur l’écran que de réduire le nombre d’activations. Déplacer le téléphone portable dans une autre pièce a permis de maîtriser ce réflexe de préhension permanent.
Le fait que j’ai failli abandonner complètement dès le milieu de la semaine a mis en évidence à quel point le smartphone fait partie de ma vie.
Mais au final, je suis satisfaite de mon expérience. Cette semaine m’a montré qu’il ne s’agit pas forcément de radier totalement le téléphone portable. Il facilite énormément la vie, évite le stress et permet de réaliser certaines choses qui ne seraient pas possibles sans ce petit assistant. Les plans des rues, le téléphone fixe, la montre, l’appareil photo numérique, la console de jeu, le journal et probablement bien d’autres choses encore ne sont pas nécessaires, car mon smartphone est toujours prêt pour tout cela.
Après cette semaine, j’apprécie mon compagnon permanent un peu plus, peut-être même un peu mieux. Je fais toutefois attention à ne plus me laisser aussi souvent tenter par les charmes de ce petit objet séduisant.
Photo d’en-tête : Anna SandnerRédactrice scientifique et biologiste. J'aime les animaux et je suis fascinée par les plantes, leurs capacités et tout ce que l'on peut faire avec et à partir d'elles. C'est pourquoi mon endroit préféré est toujours à l'extérieur - quelque part dans la nature, volontiers dans mon jardin sauvage.