Sur les traces de la course à pied : le pied, un puzzle complexe de mouvements
Je veux mieux comprendre la démarche humaine et pour cela entrer dans les détails. Un entretien avec le professeur Johannes Scherr, médecin du sport, sur les bases anatomiques, les voûtes plantaires qui s'affaissent et les baskets qui ne sont pas des chaussures de course.
Trop souvent, je ne me préoccupe pas de mes pieds. Aujourd'hui, ils m'ont porté jusqu'au centre de prévention et de médecine du sport de la clinique universitaire Balgrist et doivent être au centre de l'attention. J'y rencontre le médecin-chef, le professeur Johannes Scherr. Le médecin du sport a la gentillesse de répondre à des questions apparemment simples sur les pieds. Comme je veux mieux comprendre la démarche humaine et qu'il faut bien commencer quelque part, je commence par le bas. Et depuis le début.
Avant notre entretien, j'ai feuilleté des livres d'anatomie et j'ai constaté à quel point j'en savais peu sur le pied. Peut-on résumer en quelques mots la manière dont il est structuré ?
Prof. Dr med. Johannes Scherr : je vais essayer. Nous avons, d'avant en arrière : les orteils, la voûte plantaire, le tarse et les deux éléments porteurs au niveau du talon, le calcanéum et le talus. En français, on les appelle aussi os du talon et astragale. Vient ensuite la transition en direction du tibia et du péroné, qui, avec le talus, forme l'articulation supérieure de la cheville.
Comme il est plus facile de comprendre beaucoup de choses quand on les voit, Scherr a apporté un modèle. Il plie et étire, démontre et indique. Os naviculaire. Os cuboïde. Articulations tarsométatarsiennes. Nos pieds ne sont pas les plus grandes parties du corps, mais ils contiennent ensemble environ un quart de tous les os. Chaque pied comprend 26 os. À cela s'ajoutent, deux sésamoïdes qui s'insèrent dans les tendons du court fléchisseur du gros orteil et contribuent à l'effet de levier en tant que point d'appui (en allemand). 33 articulations, 20 muscles et 114 ligaments assurent à chaque pas une interaction complexe qui se poursuit sans interruption vers le haut, via l'articulation de la cheville, que Scherr a déjà expliquée.
En fin de compte, nos pieds doivent supporter tout le poids de notre corps. Comment se répartit-il en position debout ?
Les principaux points de pression se situent sur les sésamoïdes, en dessous de la première tête métatarsienne, puis au-dessus de l'articulation métatarso-phalangienne et au-dessus du talon.
Et que se passe-t-il si on marche ou si on court ?
On peut le voir pendant la pédobarographie. Dans le cadre de ton analyse de la marche, nous avons en effet effectué chez toi une mesure de la pression plantaire. On voit ainsi la répartition de la pression et les principales zones de charge. Lorsque tu marches normalement, c'est d'abord l'arrière du pied qui se pose et se déroule ensuite sur le métatarse. Cela se produit plutôt par le bord extérieur. Tu appuies sur le gros orteil et le deuxième orteil pour avancer. Le gros orteil est particulièrement important pour la marche, il confère de la stabilité.
C'est ainsi que cela se passe pour un pied sain. Comment les voûtes sont-elles construites pour que le poids soit réparti de manière adéquate et que le pied ne reste pas plat sur le sol ?
Nous avons la voûte longitudinale et la voûte transversale, qui sont stabilisées par des tendons, des ligaments et des muscles. En ce qui concerne la voûte longitudinale, ceux-ci ne se trouvent que partiellement sur le pied. Nous y avons par exemple le muscle court du pied, la plaque tendineuse de la plante du pied et le long ligament de la plante du pied. D'autres se trouvent sur le bas de la jambe.
Quels seraient-ils ?
Sur le pied en charge, le tendon tibial postérieur du muscle tibial postérieur soutient la voûte longitudinale médiale. Le muscle du long fléchisseur du gros orteil (Musculus flexor hallucis longus) et le muscle long fléchisseur des orteils (Musculus Flexor Digitorum Longus) ont également leur origine dans la partie inférieure de la jambe, ils font partie des muscles profonds du mollet.
Chez l'être humain, il nous faut environ un an pour faire les premiers pas sur des pieds plats. Comment les choses évoluent-elles ?
Entre onze et douze ans, le pied doit être complètement développé. Mais cela dépend aussi de la forme de la charge. Les voûtes longitudinales et transversales sont également soumises à des tensions musculaires. Plus on les entraîne, plus vite elles se développent.
Quelle est l'importance des forces en jeu lors de la marche et de la course ?
Le système squelettique n'est pas le seul facteur déterminant. Mais aussi les tendons, qui agissent finalement comme des ressorts. Tout dépend de la vitesse de marche et de la fréquence à laquelle on répartit la charge.
Je peux marcher du talon, poser le milieu du pied ou dérouler sur l'avant du pied. Quelle différence la technique de course fait-elle ?
En principe, les mêmes forces agissent. Peu importe que tu marches sur l'arrière ou l'avant du pied : l'impulsion est la masse multipliée par la vitesse. Tu as l'impulsion à l'arrière du talon et à l'avant. Comme la surface est plus petite à l'arrière, tu as des pics de pression plus élevés que si tu marches sur l'avant du pied. Mais l'impulsion au niveau de la cheville reste la même. L'énergie dont tu as besoin doit provenir de quelque part.
L'énergie transmise lors du contact avec le sol.
La vitesse verticale à laquelle tu avances est l'impact. Chez les sprinters ou lorsque tu sautes, il devient naturellement plus grand. Parmi les joggeuses et les joggeurs, on voit souvent ceux et celles qui se contentent de pousser le pied vers l'avant en courant et qui ne font pratiquement pas de grandes enjambées. Donc beaucoup de mouvements horizontaux pour peu de mouvements verticaux. L'impact y est moindre.
Dans la vidéo ci-dessous, tu peux voir ce qui se passe lorsque des sportifs de haut niveau touchent le sol. Chez le sprinter, des pics de force extrêmes se produisent en l'espace de 100 millisecondes. Des forces de réaction au sol pouvant correspondre à cinq fois le poids du corps. Chez le marathonien de classe mondiale, la courbe est plus plate et le temps de contact plus long. Il intercepte sur la distance 25 000 fois jusqu'à trois fois son poids.
Au bout d'un moment, même les pieds en bonne santé se fatiguent. Va-t-on littéralement les écraser ?
D'une part, ils gonflent au cours de la journée en raison de la pression hydrostatique exercée sur le pied par le système veineux depuis le haut. Mais les muscles du pied, qui tendent la voûte transversale et longitudinale, finissent aussi par se fatiguer. Ensuite, les voûtes s’aplatissent, le pied s'élargit et s'allonge. On le voit par exemple chez les coureuses et coureurs qui ont couru un marathon de quatre heures ou qui n'ont franchi la ligne d'arrivée qu'après six heures en voiture-balai.
Quiconque commence à courir, risque d'avoir des problèmes de pieds plus rapidement ?
Les débutantes et débutants en course à pied n'ont pas forcément de problèmes. C'est là que la stabilité du pied entre en jeu. Cela peut arriver aux personnes qui sont assises toute la journée devant un écran et qui n'ont pas vraiment sollicité leurs pieds depuis longtemps. Dans ce cas, je recommanderais des augmentations progressives et de commencer par des exercices de stabilité pour les pieds, que l'on peut aussi faire en position assise.
Les pieds ne sont donc pas nécessairement la partie du corps qui s'affaiblit en premier.
La plupart du temps, c'est toute la chaîne du mouvement qui est concernée. Tout est lié et commence par exemple par un « midfoot collapse » (affaissement de la voûte plantaire), le métatarse se plie donc vers l'intérieur lors de la marche. Le genou pivote alors vers l'intérieur, ce qui peut éventuellement entraîner des problèmes au niveau de la hanche ou de la colonne vertébrale.
La course à pied est un travail d'équipe entre les différentes parties du corps. Si l'un d'eux faiblit, les autres doivent compenser. Un processus souvent insidieux et tellement individuel que, lors de la recherche des causes, il faut considérer le système dans son ensemble. C'est l'interaction qui compte.
En ce qui concerne les problèmes de pieds, les premiers qui me viennent à l'esprit sont le pied plat, le pied valgus, le pied à voûte affaissée et le pied étalé. Est-ce que ce sont les problèmes les plus fréquents ?
Non, pas directement. Cela s'appliquerait aux malformations. Mais si l'on considère les douleurs des membres inférieurs, plusieurs patientes et patients, athlètes souffrent par exemple d'un « midfoot collapse ». Lorsque nous parlons de troubles médicalement pertinents, l'hallux valgus est le plus fréquent. Il s'agit d'une déformation en varus du premier métatarsien, entraînant une saillie médiale de la tête sur le bord interne du pied. Cela peut être dû aux chaussures et à la charge, mais les déformations osseuses sont aussi souvent héréditaires.
Je n'ai donc pas toujours la chance d'éviter ce genre de choses en m'entraînant.
Exactement, tu peux aussi être malchanceux. Jusqu'à un certain point, l'entraînement permet d'obtenir des résultats. Si cela n'est plus possible, l'os est remis en place chirurgicalement. Les femmes sont plus souvent concernées. Le surpoids et le port fréquent de chaussures inadaptées, avec des talons trop hauts, des bouts pointus ou de trop petites tailles, sont également considérés comme des facteurs de risque.
Les femmes sont-elles aussi plus souvent touchées par d'autres problèmes de pieds ?
Le pes planovalgus, c'est-à-dire le pied plat valgus, est environ trois fois plus fréquent chez les femmes. Cela est lié à des différences anatomiques et commence déjà au niveau des hanches. Le bassin est plus large et légèrement incliné. Cela se répercute sur les genoux par l'intermédiaire du fémur et s'accompagne plus souvent d'une position en X des jambes. De ce fait, la partie inférieure de la jambe et le pied forment plus souvent un pied valgus.
Parmi les principales causes des problèmes de pieds, Google cite en première place : le manque d'activité physique, la surcharge, les mauvaises chaussures.
Si l'on manque d'exercice et que l'on ne sollicite pas les pieds, la musculature disparaît naturellement. Atrophie due à l'inactivité. Si je ne fais que surélever mes pieds, ils ne supportent même plus mon poids en position debout. Il est alors clair qu'ils s'affaiblissent de plus en plus.
Et comment éviter le contraire, la surcharge en courant ?
Eh bien ça dépend : je ne suis pas fan d'un énorme soutien de pronation. Certaines personnes en ont besoin, surtout lorsqu'elles commencent à courir. Mais le pied se pose sur un tel support ou une telle semelle passive et pense : « génial, je n'ai pas besoin de faire des efforts. » Il reste ou devient ainsi inactif et les muscles ne se renforcent pas. Pour ce faire, il convient de les entraîner en conséquence.
Ce qui veut dire... ?
Si je vais courir pendant 40 minutes et que je n'ai pas une grande déformation du pied, je devrais essayer de m'en sortir avec une chaussure normale. Au quotidien, je n'ai pas non plus forcément besoin d'une semelle orthopédique pour faire mes achats rapidement. En revanche, si je fais du shopping à Paris pendant dix heures ou si je cours un marathon, j'aurai besoin d'un soutien à un moment donné, car les muscles se fatiguent. Si j'ai déjà une déformation importante du pied sans charge, le médecin devrait décider si et à partir de quand je devrais porter une semelle orthopédique ou j’aurais besoin d'un soutien de pronation.
Il n'y a pas que le pied qui se fatigue, le matériel aussi, à tout moment. Mes chaussures préférées usées deviennent-elles un problème lorsque je fais du sport et ai-je besoin, en tant que joggeur occasionnel, de différents modèles ?
La bonne chaussure est déjà extrêmement importante. Dans ce cas, je dirais qu'il vaut mieux avoir une paire bien adaptée et la remplacer à temps plutôt que de tenter des expériences. De plus, la cherté de la chaussure n'est pas forcément synonyme de qualité.
Ce qu'il faut éviter
Il faut se méfier des baskets. Ce sont des chaussures de mode qui ne sont pas adaptées à la pratique du sport. Tous les grands fabricants d'articles de sport proposent des modèles qui ne sont que partiellement adaptés à la course à pied. Les baskets ne sont pas des chaussures de course qui guident le pied dans son mouvement naturel et offrent un certain soutien au niveau de la voûte plantaire. Mais les chaussures de course sont de toute façon un sujet en soi, qui peut faire l'objet de discussions enflammées.
Une chose est claire : mieux vaut avoir des pieds en bonne santé. C'est pourquoi l'étape suivante sera consacrée à la manière dont tu pourras prendre soin d’eux. Je fréquente l'école de course de Pascale Gränicher, physiothérapeute et athlète, et j'apprends en gymnastique des pieds que même les plus petits mouvements peuvent être un grand défi.
Scientifique dans le domaine du sport, père haute performance et télétravailleur au service de Sa Majesté la tortue.