En coulisse
La biologie du sport
par Claudio Viecelli
Nos muscles ont besoin d’énergie. Le Dr Oliver Quittmann, scientifique du sport, explique d’où le corps tire son énergie, quel rôle joue la consommation maximale d’oxygène dans les sports d’endurance, et pourquoi elle est certes importante en course à pied, mais ne fait pas tout.
Lorsque le Dr Oliver Quittmann commence à parler, on se rend vite compte qu’on a affaire à un passionné : « En sciences du sport, vous pouvez mettre en pratique vous-même ce que vous étudiez », nous dit-il. Le triathlonien fait de la recherche et enseigne à la Haute école allemande du sport de Cologne et travaille aussi par intérêt personnel à l’amélioration du diagnostic de performance. « Les graphiques que vous produisez vous permettent une meilleure compréhension, mais également une meilleure pratique personnelle ». Incontestable, certes, mais il faudrait aussi avoir un peu de contexte pour concrétiser.
L’énergie vient toujours de quelque part. Peu importe l’activité, vos muscles ont besoin d’adénosine triphosphate (ATP) pour fonctionner. Malheureusement, ils en ont très peu en stock. C’est pour cette raison que la complexité du processus de la consommation d’énergie est aussi intéressante. Je me suis entretenu avec Oliver Quittmann au sujet de la mesure et l’interprétation de l’activité du corps pendant le cyclisme et la course à pied. Un vaste sujet dans lequel une multitude d’aspects valent la peine d’être abordés individuellement. Afin de ne pas nous perdre en chemin, je lui ai demandé de commencer doucement avant de plonger dans le détail.
Comment les muscles obtiennent-ils de l’énergie ?
Dr Oliver Quittmann : C’est un domaine très vaste, mais pour faire simple, le corps génère de l’énergie de beaucoup de façons différentes, dont certaines nécessitent de l’oxygène. C’est pourquoi on parle communément de métabolisme aérobie, qui fonctionne à l’oxygène, et de métabolisme anaérobie, qui n’a pas besoin d’oxygène pour son fonctionnement.
Si on commençait sans oxygène ?
Le métabolisme anaérobie permet à l’organisme de synthétiser plus d’énergie en un temps donné et donc de fournir plus de puissance. En sprintant, on obtient ainsi beaucoup d’énergie à court terme. Pour fournir de l’énergie anaérobie, le système créatine phosphate génère, d’une part, l’énergie très rapide et au début d’un effort. Ces réserves s’épuisent au bout de quelques secondes. D’autre part, le système glycolytique entraîne également la formation nette de lactate. Cette partie du processus est relativement simple. Le corps produit rapidement de l’énergie à partir du glucose, c’est-à-dire du sucre, en passant par quelques étapes intermédiaires.
Mais alors, comment générer de l’énergie plus longtemps, pour un marathon, par exemple ?
Pour un effort à long terme, mon corps doit digèrer le glucose assez longtemps pour que celui-ci atterrisse dans la mitochondrie. Tout ce qui est lié à la mitochondrie est appelé aérobie. Après son passage dans les poumons, l’oxygène emmagasiné permet d’assembler les molécules d’ATP et de produire de l’eau. Comme de nombreux processus sont nécessaires pour obtenir ces molécules ATP, cela prend plus de temps. D’autant plus si je veux aussi fournir de l’énergie à partir de graisses. Comme ces processus sont lents, mon activité ne peut pas être aussi intense, mais je peux le faire sur une plus longue période.
Quiconque souhaite être en activité le plus longtemps possible et le plus rapidement possible est tributaire d’un bon approvisionnement en oxygène. Une valeur à laquelle les sportifs d’endurance sont donc particulièrement attentifs est la consommation maximale d’oxygène (VO₂max). Mais de quoi s’agit-il exactement ?
La consommation maximale d’oxygène correspond à la capacité du corps à métaboliser l’oxygène. Nous ne pouvons pas mesurer directement ce qui se passe dans les muscles, mais on peut mesurer les gaz respiratoires. La VO₂max est donc calculée indirectement par calorimétrie. Concrètement, un masque respiratoire équipé d'un système de turbines enregistre la quantité d’air respirée dans les deux sens. Il s’agit de déterminer la concentration en oxygène et en CO₂ et de déduire la quantité de ces deux substances.
Comment les sujets sont-ils testés ?
En ce qui concerne la consommation maximale d’oxygène, les tests sont effectués sur tapis roulant ou ergomètre. Dans un test par palier, l’augmentation de la charge est constante et rapide. Après un éventuel échauffement de 6 à 15 min, on passe aux paliers. L’effort n’est donc pas très long, mais très intense sur une courte période jusqu’à l’épuisement. La VO₂max est le millilitre d’oxygène par kilogramme de poids corporel par minute (VO₂max = ml O₂/kg/min).
Aujourd’hui, les montres de sport donnent une valeur de VO₂max. Est-ce que l’on peut s’y fier ?
Je trouve que les montres de sport s’améliorent de plus en plus sur certains points. J’en porte moi-même et j’ai l’impression que les personnes qui n’aiment pas trop faire de l’exercice arrivent plus facilement à se motiver avec une montre sportive. Je trouve que les paramètres comme la VO₂max sont à prendre avec des pincettes. En tant que spécialiste du diagnostic de performance et scientifique, je peux confirmer qu’il ne s’agit là que d’approximations. Lors de ma dernière mesure, j’étais à 67 ou 68. D’après ma montre Garmin, j’étais à 59. Pas très utile.
Revenons-en au diagnostic de performance. Si la VO₂max est considérée comme l’indicateur brut de la capacité d’endurance aérobie, quel serait l’indicateur net ?
Pour faire simple, ce serait le pourcentage d’absorption d’oxygène que je peux maintenir sur une longue période. C’est bien beau d’avoir une consommation d’oxygène super élevée, mais c’est peu utile si l’on ne peut en tirer que 50 pour cent sur un effort prolongé. C’est pourquoi c’est une donnée centrale dans les sports d’endurance.
Si l’énergie ne peut pas être fournie par voie aérobie, la concentration de lactate augmente, et au bout d’un moment, la performance ne peut pas être maintenue. Quel est le rapport entre le seuil de lactate et la VO₂max ?
Le pourcentage d’absorption maximale d’oxygène que je peux atteindre au seuil de lactate (4 mmol/l) est effectivement une variable essentielle. Le terme de seuil de lactate n’est plus aussi souvent utilisé, car il est difficile à justifier physiologiquement. Aujourd’hui, on parle plutôt de points d’ancrage. On peut calculer une référence physiologique absolue en observant l’état d’équilibre maximal du lactate durant un test d’endurance. Pour cela, je dois effectuer plusieurs tests d’endurance de 30 minutes à une intensité élevée et trouver le moment où la concentration de lactate augmente d’une millimole maximum.
Il ne s’agit donc pas d’un test par palier.
Les protocoles de test par étapes sont très fréquents. On commence par une intensité faible, avec des paliers de cinq minutes. En course à pied, la vitesse est ensuite augmentée de 0,4 ou 0,5 mètre par seconde à chaque palier. Entre les étapes, on dispose de 30 secondes pour déterminer la concentration de lactate dans le sang. À partir de ces courbes de concentration de lactate, il est alors possible de déduire différentes zones d’entraînement. Si l’on associe cette mesure à une spirométrie, ce qui est recommandé, on peut également voir combien de glucides et de lipides sont métabolisés, autre information importante. En effet, selon la distance de course, les éléments à observer ne sont pas les mêmes.
En cas de faible durée, dans le domaine du demi-fond ou du sprint long, le système glycolytique et le système oxydatif sont tous deux essentiels.
Dans le cadre de tes recherches, tu as également beaucoup travaillé sur le taux maximal de formation de lactate. Quel est le rapport avec la VO₂max ?
Il doit permettre de déterminer dans quelle mesure le système glycolytique est performant. Mathématiquement, nous nous attendrions à ce que le rapport entre la consommation d’oxygène et le taux de formation de lactate explique le pourcentage d’épuisement à l’état d’équilibre maximal du lactate. Il devrait y avoir une donnée qui monte d’abord en pente raide, puis qui s’aplatit un peu. Si nous comparons cela avec les valeurs mesurées, nous constatons de très grands écarts. C’est pourquoi nous en discutons et envisageons d’autres choses. Mais pour l’instant, nous sommes sceptiques. Tout du moins pour la course à pied. Avec des collègues, nous sommes en train de valider cela dans le cyclisme.
En course à pied, les choses sont donc un peu plus complexes.
Le diagnostic de performance est quand même important. Mais en ce qui concerne le modèle mathématique que des fournisseurs commerciaux utilisent aussi bien en cyclisme qu’en course à pied, je serais prudent. Quand on simule quelque chose en cours d’exécution, on suppose que les hypothèses mathématiques sont valables. Nous avons vérifié : la simulation ne correspond pas à la réalité de la course à pied. On peut en déduire un bon programme d’entraînement, mais pas les liens physiologiques.
Parmi tous les facteurs existants, quelle est donc l’importance de la VO₂max dans le cyclisme et la course à pied ?
On lit toujours qu’une consommation maximale d’oxygène élevée est le paramètre dans les deux disciplines. En cyclisme, le mouvement est relativement bien guidé, c’est vraiment la VO₂max qui compte. L’économie de mouvement et les facteurs techniques sont moins déterminants. Bien que la VO₂max soit également de loin le paramètre le plus important en course d’endurance à pied, l’économie de mouvement y joue un rôle important.
Comment conceptualiser les différences ?
Le nombre de millilitres d’oxygène par kilogramme de poids corporel requis par kilomètre parcouru est très déterminant. On normalise cela sur le parcours pour mieux comparer. Les valeurs les plus basses que j’ai jamais vues dans des documents sont d’environ 160. C’est très économique. Dans les 230 à 250, on n’est plus du tout dans l’économie. Mon économie de course est de 232, par exemple. Mes mouvements consomment beaucoup et je suis très peu économe. Je dois donc compenser par une consommation d’oxygène élevée. En course à pied, ce sont les deux paramètres les plus importants : VO₂max en premier, puis l’économie de course. J’ai toujours adoré cette complexité. Un certains sportif aura des faiblesses ici, une autre sportive aura des avantages là... C’est ce qui rend les compétitions de course à pied si captivantes.
Le scientifique du sport est chercheur et enseignant à la Deutsche Sporthochschule de Cologne, notamment dans le domaine des sports d’endurance. Dans ses études, il aborde différentes méthodes de diagnostic de la performance, en étudiant principalement le métabolisme glycolytique. En plus de son travail, ce jeune homme de 31 ans anime le podcast vidéo Exercise Inside Out et communique les résultats de ses recherches dans le cadre de Science Slams. Il publie régulièrement nombre de ses enseignements et recherches sur sa chaîne YouTube.
Scientifique dans le domaine du sport, père haute performance et télétravailleur au service de Sa Majesté la tortue.