Sur les traces de la course à pied : « C’est comme si le cerveau se détendait »
16/9/2022
Traduction: Anne Chapuis
D'où vient ce sentiment de bien-être, récompense après chaque tour de course ? Ce qui se passe dans le cerveau pendant le jogging n'intéresse pas seulement les scientifiques du sport comme Leonard Braunsmann. Un entretien sur le chaos dans la tête, le bienfait de l'autodétermination et le « bruit neuronal » longtemps négligé.
Pour me rendre chez Leonard Braunsmann, je prends bien entendu les escaliers. Pendant que je monte au quatrième étage, mon pouls monte aussi, ma respiration s'accélère et je repasse dans ma tête les questions que j’aimerai lui poser. Il est chargé de recherche à l'Institut des sciences du mouvement et des neurosciences de l'Université allemande du sport de Cologne et a, avec Dr Vera Abeln, mené une étude qui m’intéresse : le projet « ClearMind » vise à déterminer si et comment la course à pied réduit le chaos dans la tête. Un sentiment que vous connaissez certainement. Pour moi, c'est la raison pour laquelle je ne prends jamais l'ascenseur avant un examen ou une interview. Dans la mesure du possible, je veux rester en mouvement le plus longtemps possible pour mettre de l'ordre dans mes idées. J'aimerais maintenant en savoir plus sur ce qui se cache derrière ce sentiment d'un point de vue neuroscientifique. Après quatre étages, je suis arrivé. Je prends trois profondes respirations. Et je me lance.
Bonjour, Leonard, es-tu allé courir aujourd’hui ?
Leonard Braunsmann : pas aujourd'hui, non (rires). En fait, je ne cours pas beaucoup, je préfère faire du vélo de route.
C'est bien aussi. En plus, les cyclistes sont les chouchous du diagnostic de performance. Est-ce que cela s'applique aussi à la recherche cérébrale ?
Cela est aussi vrai en ce qui concerne le cerveau. En faisant du vélo, on est assis de manière stable sur l'ergomètre et on ne bouge pas trop la tête. En revanche, les mouvements au cours de la course à pied peuvent provoquer des signaux parasites lors de la mesure de l'activité cérébrale. Il est donc plus difficile d'effectuer des mesures pendant une activité sportive. C'est aussi pour cette raison que le cyclisme est si populaire dans la recherche.
Sigaux parasite est un bon mot-clé. Pour l'étude « ClearMind », vous avez fait des mesures EEG (mesure des ondes cérébrales) avant et après la course. Il s'agissait du « bruit neuronal » ; un terme qui me plaît. On peut directement s'imaginer que quelque chose se passe dans la tête. Qu'est-ce qui se cache derrière ce terme du point de vue neuroscientifique ?
Le bruit neuronal renseigne sur la communication des cellules nerveuses dans le cerveau. Jusqu'à présent, pendant près d'un siècle, on n'a en fait jamais étudié que les oscillations, les oscillations régulières de l'activité des neurones. Ce n'est qu'il y a quelques années que l'on a pensé à étudier de plus près l'activité non oscillatoire. Il s'agit d'un bruit de fond qui se situe « sous » les oscillations. On a longtemps pensé qu'il s'agissait d'un signal parasite et on l'a donc filtré.
Pourquoi est-ce soudain intéressant ?
On sait aujourd'hui qu'il a une importance fonctionnelle. Il est par exemple en corrélation avec l'âge. Plus on vieillit, plus le bruit est important. Il existe également un lien avec certains domaines de la performance cognitive. Ces découvertes lui ont donné plus d'importance. Cependant, on n'a jamais étudié comment cette activité évolue après la pratique sportive. Comme les études sur ce sujet sont très hétérogènes en ce qui concerne les oscillations, et qu'il y a donc des résultats différents, nous voulions maintenant examiner ce « nouveau » paramètre.
Nous connaissons tous ce sentiment de bien-être et cette clarté d'esprit après avoir couru. Ou du moins, je l'espère. Que voulez-vous apprendre exactement ?
Il s'agit d'apprendre à mieux comprendre les mécanismes neurophysiologiques : Quels sont les processus cérébraux responsables pour notre bien-être après avoir couru ? Pour le savoir, nous voulions influencer consciemment le bien-être des personnes testées lors d'une des deux courses. La première fois, nous leur avons dit qu’ils pouvaient courir 30 minutes à l’allure qu’ils souhaitaient.
Super !
... oui, mais quatre semaines plus tard, lors de la deuxième course, nous avons donné des consignes et des instructions pour influencer le bien-être et le vécu de l'autonomie. Toutefois, ce que les personnes testées ne savaient pas, c'est que la consigne était de courir à la même vitesse que la première fois. Avec des mesures EEG, nous avons étudié l'impact des consignes sur l'activité cérébrale. De plus, le bien-être a été évalué à l'aide de questionnaires et les performances cognitives ont été mesurées à l'aide de tests. Nous avons examiné ces trois éléments avant et après la course à pied.
Qu'avez-vous constaté en ce qui concerne le bruit neuronal ?
Nous avons constaté une réduction du bruit après les deux exécutions. Cela peut être interprété comme une désactivation corticale ; le cerveau ralentit donc d'une certaine manière. On l'a déjà constaté en observant les oscillations dans les bandes alpha et bêta. Nous avons maintenant pu étayer cela à l'aide de l'activité non oscillatoire. Il est intéressant de noter qu'il existe une différence neurophysiologique entre une course déterminée par soi-même ou une personne tierce.
Je suis curieux de connaître les résultats.
Nous avons utilisé deux paramètres, appelés offset et slope, et nous avons eu deux moments de mesure après la course : 5 et 25 minutes après. Si l'on compare ce qui se passe entre ces deux mesures, on constate des changements uniquement après la course à pied imposée par une personne tierce. L'activité a donc augmenté dans l'un des paramètres et diminué dans l'autre. En revanche, lors de la course autodéterminée, ces deux paramètres étaient constamment réduits. Les effets étaient donc plus stables ici. Cette différence est intéressante. En effet, elle montre que le cerveau réagit différemment lorsque des consignes sont données. Il doit apparemment travailler plus, et cela se répercute après coup.
Les instructions mettent le cerveau à rude épreuve
Je comprends tout à fait. Quand je vais courir, je ne suis pas de plan d'entraînement. Malgré tout, une certaine ambition m'anime, que je remets toujours en question à un moment bien précis. Je parle de mon trajet de course et de cet arbre que je croise juste avant d'avoir fait le plus dur du parcours pour le moment. Il n’impose rien, bien au contraire. Tout comme Leonard avec ses sujets, il me demande si je me sens bien. Je me réjouis à chaque fois et je me demande un instant si tout est ok. Jusqu'à présent, j'étais convaincu de pouvoir me déplacer de manière autonome. Je me demande maintenant si c'est vraiment le cas.
Je peux facilement m'identifier au groupe de coureurs de votre étude. Il ne s'agissait pas de sportifs de haut niveau, mais de personnes qui couraient pour leur santé. C'est ce que je fais, comme beaucoup d'entre nous, de manière que je pensais autodéterminée. Mais ma smartwatch vibre lorsque j'ai parcouru un kilomètre et je réagis à ce qu'elle indique. Est-ce que cela ne montre pas toujours une légère influence tierce ?
Bonne question. En principe, nous avons constaté que, lorsque des consignes sont données, la course à pied a également un effet positif sur les niveaux psychologiques. Donc sur le bien-être et la cognition. Nous avons constaté des améliorations lors des deux courses. Mais lorsque l'on courait de manière autonome, les améliorations étaient parfois plus marquées. En conséquence, le vécu d'autonomie semble jouer un rôle.
Alors, il serait mieux de se débarrasser de la smartwatch ?
Une telle montre peut aussi contribuer à la motivation. Et le suivi des sorties peut aussi être intéressant pour les coureuses et coureurs amateurs. Mais si c'est l'effet psychologique qui t'intéresse, c'est-à-dire si tu veux simplement te vider la tête, il peut être plus utile de laisser tomber la montre et de courir comme tu le souhaites.
Je le ferais un de ces jours. Quelles sont les zones du cerveau qui réagissent le plus fortement à la course à pied ?
Dans le cas de l'activité cérébrale non oscillatoire que nous avons étudiée, les effets se sont manifestés sur l'ensemble du cortex. Mais il y a aussi des études, entre autres de notre groupe de travail, qui arrivent à la conclusion qu'il se passe surtout quelque chose dans la zone préfrontale. Cette dernière est notamment associée aux émotions ou aux processus cognitifs. Cela expliquerait bien pourquoi on se sent mieux et plus performant·e après avoir couru. Mais là encore, les résultats sont hétérogènes. Dans l'étude « ClearMind », nous avons en revanche constaté que le cerveau se détend partout de manière non spécifique. Mais cela semble aussi être une caractéristique particulière de l'activité apériodique et pourrait indiquer que le cerveau dans son ensemble fonctionne plus efficacement et de manière plus synchrone après avoir couru.
Je suis sur les traces des secrets de la course à pied. C'est notre méthode naturelle de déplacement et c'est quelque chose que nous faisons depuis quelques millions d'années déjà ; plus longtemps que le vélo par exemple. L'effet est-il plus important que dans d'autres sports ?
Il semble que, de manière générale, les sports aérobies, c'est-à-dire les sports d'endurance, aient des effets plus importants sur l'activité cérébrale. Ils sont moins prononcés lors de la musculation par exemple. Dans des études précédentes, nous avons constaté que la préférence de la discipline sportive ou l'habitude semblent également jouer un rôle. Les réactions se manifestant psychologiquement et dans le cerveau dépendent aussi de ce que l'on aime faire ou de ce que l'on fait régulièrement. La course à pied semble particulièrement répandue pour obtenir cet effet.
Faut-il s'entraîner pour ressentir cet effet ?
Les personnes qui commencent à faire du sport montrent des changements dans l'activité cérébrale, mais aussi les triathlètes ambitieux. Et il existe par exemple des études avec des personnes âgées qui montrent que la marche a déjà un effet sur l'activité cérébrale. C'est pourquoi cet effet semble exister des jeunes aux moins jeunes et des novices aux pros de l'activité physique. L'essentiel est de sortir et de faire de l'exercice.
Au début, tu as dit qu'avec l'âge, le bruit neuronal augmentait. Quelles conclusions peut-on en tirer ?
Comme ce paramètre n'est étudié que depuis peu, la question des effets à long terme n'est pas encore résolue. C'est une approche qui pourrait être étudiée plus en détail. S'il est possible de réduire l'augmentation du bruit avec l'âge par le biais de l'entraînement, ce qui aurait alors éventuellement des effets positifs à long terme sur les performances cognitives.
Ma tête est aussi régulièrement pleine de bruit. Faudrait-il envoyer les personnes travaillant au bureau comme moi faire de la course pendant 30 minutes de temps en temps ? Combien de temps les effets positifs durent-ils ? Je demande pour un chef que je connais...
Oui, ce serait recommandé, et pas seulement d'un point de vue psychologique et neuroscientifique. Peu importe que ce soit de la course à pied ou de la marche. Dans notre étude, l’effet était encore mesurable une demi-heure plus tard. C'est une fenêtre de temps que de nombreuses études mentionnent. Des périodes plus longues, mais aussi beaucoup plus courtes sont parfois indiquées. En ce qui concerne la durée des effets positifs sur la cognition, il n'existe pas encore de preuves claires. À long terme, nous savons déjà, grâce à des études longitudinales, qu'une activité physique plus élevée a un effet positif sur de nombreux domaines de la santé physique et mentale.
Ce que je retiens : il est indiscutable que la course à pied permet non seulement de remettre les jambes en forme, mais aussi la tête.
En fait, c’est comme si le cerveau se détendait d'une certaine manière, ou plutôt les neurones communiquent entre eux de manière plus ordonnée. Dans ce contexte, il est intéressant de noter que nos volontaires se sont sentis plus actifs après les deux courses. Si le bruit neuronal diminue, il se peut que nous ne soyons plus paralysés par toutes ces pensées. Nous avons à nouveau l'esprit libre.
Scientifique dans le domaine du sport, père haute performance et télétravailleur au service de Sa Majesté la tortue.